Plat du jour - Economie

Comment la Norvège a imposé le saumon dans les sushis japonais ?

Ecrit par Fred Ricou le 27.11.2025

Né d’un pari économique entre la Norvège et le Japon dans les années 1980, le sushi au saumon est devenu un phénomène mondial. Retour sur l’histoire vraie d’un poisson d’élevage devenu star de la cuisine nippone, grâce au Project Japan et au travail de Bjørn Eirik Olsen 

 


 

Quand on porte à ses lèvres un nigiri de saumon, on ne déguste pas seulement un simple filet de poisson avec du riz japonais — c’est avant tout l’aboutissement d’une révolution culinaire. Dans les années 1980, une poignée de Norvégiens, confrontés à un excès de saumon d’élevage, voyait dans l’Asie un marché potentiel, alors que le Japon, terre ancestrale du sushi, commençait à manquer de thon, l’un des piliers traditionnels du nigiri.  

 

C’est dans ce contexte que fut lancé le projet baptisé Project Japan, mené dès le milieu des années 1980 par la Norvège afin d’introduire son saumon atlantique cru sur les étals japonais.   À la manœuvre : Bjørn Eirik Olsen, dont la mission allait se révéler déterminante. En tant que responsable de l’analyse de marché, il dut convaincre des restaurateurs japonais, souvent très attachés à leurs traditions, que ce saumon venu des fjords, riche en graisse et sans parasites, pouvait parfaitement trouver sa place dans l’univers codifié du sushi.  

 

La bataille ne fut pas facile. Au Japon, le saumon était longtemps consommé cuit ou salé, rarement cru : le saumon local, majoritairement sauvage, était craint à cause des parasites, et sa chair maigre le rendait peu propice aux sashimis. Pour détourner ces réticences, Olsen redonna au produit un nom neutre « Noruē sāmon » en katakana, afin de le dissocier des saumons du Pacifique déjà connus.  

 

Il fallut patienter presque une décennie de marketing, de dégustations, de dîners ambassade et de persuasion avant que les Japonais ne cèdent : en 1992, l’entreprise Nichirei accepta d’acheter 5 000 tonnes de saumon norvégien… à condition qu’il soit vendu uniquement cru, pour sushi ou sashimi. Ce fut le signal : le saumon devint peu à peu partie intégrante des menus.  

 

Dans les années 1990, la popularisation des restaurants à sushi sur tapis roulant, moins chers et plus accessibles, favorisa l’essor rapide du saumon cru, jugé plus doux, plus gras, plus visuel que le thon ou les poissons maigres traditionnels. En vingt ans, les exportations norvégiennes vers le Japon passèrent de quelques tonnes à plusieurs dizaines de milliers. Un succès industriel, commercial, mais aussi gastronomique. 

« Quand j’ai vu à l’entrée des restaurants japonais des shokuhin sampuru (ndlr : fac-similé en résine représentant à la perfection les plats que l’on peut trouver l’intérieur) avec des nigiri au saumon, j’ai compris que c’était gagné ! » explique Bjørn Eirik Olsen. 

 

Aujourd’hui, le saumon norvégien est sans doute le poisson cru le plus consommé en sushi dans le monde. Le projet qui visait à drainer un surplus halieutique s’est mué en un phénomène culturel global : sushi bars, restaurants, supermarchés, du Japon à l’Europe en passant par l’Amérique, tous ont adopté l’alliance inattendue entre le riz vinaigré japonais et le saumon d’élevage scandinave.  

 

Chaque fois que l’on commande un nigiri au saumon, on avale un morceau d’histoire, celle d’un pont tissé entre la Norvège et le Japon, un pari risqué, et un succès qui a transformé durablement le panorama culinaire mondial.

 

Mots-clés : sushis saumon - saumon norvégien - saumon histoire

 

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