Sébastien Demorand est quelqu'un d'étonnant. Après une vingtaine d'années comme journaliste gastronomique, il est officiellement depuis le 14 mars, le copropriétaire du Bel Ordinaire, une splendide épicerie de quartier où chaque produit à été minutieusement choisi. Il a prévu d'être présent tous les jours d'ouverture. Nous sommes allé faire un tour rue de Paradis à Paris pour découvrir ce nouveau lieu gourmand. La devanture noire et or est restée celle de l'ancien magasin de luminaire, Paris Lumière. Le Paradis ? La Lumière (au bout du tunnel...) ? Les petits anges gourmets et goumands sont au rendez-vous, nous avons rencontré l'un d'eux...
Sébastien Demorand - Photo 7 de Table.com
Après votre métier de journaliste culinaire, Le Bel Ordinaire c’est une nouvelle aventure ou une suite logique ?
Les deux mon général ! C’est une suite parce que je ne suis pas passé de la presse gastronomique à un magasin de plomberie. Mais c’est un nouveau démarrage puisque là on rentre dans les choses très dures, très tangibles : le commerce, la vente, l’accueil, la clientèle… Toute une dimension économique autour de l’entreprise que représente un lieu comme celui-ci. Mais, oui, c’est quand même très nouveau ! Il y a des secteurs sur lesquels je suis à l’aise sans problème, là dans cette boutique, mais il y a des choses que j’apprends toutes les minutes.
Vous connaissez parfaitement les produits. La vente cela vous inquiète ?
Non. D’abord il y a une équipe, mais non, au contraire ! C’est un vrai bonheur. Toutes les trente secondes, c’est avoir quelqu’un à qui raconter quelque chose, conseiller quelque chose, écouter, comprendre… C’est extrêmement jouissif la vente ! On dit que c’est un métier qui est dur, c’est certainement vrai, mais je sais que l’on a mis tellement d’énergie et de passion à choisir les 250/300 produits plus les vins, que maintenant on est content ! C’est ce que l’on appelle, entre nous, un magasin de jouets pour adultes, dans le sens « normal » du terme. On sait ce que l’on a, on a tout goûté, et l’on a plaisir à faire partager les émotions que l’on a eues en choisissant les produits. On n’a pas une sélection folle, extensive… On n’est pas dans une grande surface ! Les produits vont tourner au fur et à mesure en fonction des rencontres, de ce que l’on va pouvoir découvrir à droite à gauche, et après on aura une gamme plus élargie, plus étoffée, en mutation permanente, c’est ça qui est drôle…
De plus en plus dans Paris, il y a des gens, des producteurs qui bougent, qui font des choses. On pense, par exemple, à cette laiterie qui verra le jour en septembre dans le 18e arrondissement. Vous allez leur rendre visite ?
Bien évidemment ! Là nous démarrons avec un certain nombre de gens que l’on connaît et que l’on voulait mettre en avant et que l’on avait plaisir à déguster et à partager, mais demain le boulot recommence. Pour la sélection, rien n’est figé ! Dans un mois, cela aura changé…
Il y a quelques mois, nous avons rencontré Bruno Verjus qui est passé de chroniqueur gastronomique à Chef de son restaurant. Est-ce que pour vous, c’est un peu le même chemin, pour se rapprocher du produit ?
Je n’ai pas le sentiment d’avoir été « détaché » du produit ou de la réalité des métiers de bouche pendant 20 ans, au contraire ! J’ai été totalement au contact. Là c’est plus des envies personnelles, des choix, des moments où l’on a envie d’évoluer. Mais je ne nie pas ce que j’ai été, au contraire ! Une partie de mon savoir-faire médiatique est dans cette boutique. C’est le fruit de tout un tas de reportages, de rencontres avec des vignerons, des producteurs qui se retrouvent aujourd’hui de façon tangible et concrète en boutique. Pour moi, on s’inscrit dans une forme de continuité…
C’est donc bien ça, une suite logique…
Oui ! Nous avons comme projet de faire vivre ce lieu aussi « médiatiquement ». Le travail de « médiatisation » c’est celui qui consiste à être un accompagnateur entre une source d’information, un produit et des clients. On transmet des messages. Après, c’est « Comment est-ce que l’on accueille des gens, des vignerons… Est-ce que l’on fait des interviews avec du public ? etc. » On est sur cette envie-là ! Mon métier de journaliste trouvera à s’exprimer ici aussi.
L’idée du Bel Ordinaire est de vous ?
Cela faisait très longtemps que je pensais à ça. C’est Cyrille Rossetto, mon associé, qui de son côté avait une envie un peu similaire. Il ne vient pas de l’univers de la bouffe, mais il avait cette envie et c’est un ami commun, qui est dans le monde de la restauration, qui nous a présentés. On s’est associé et l’on a monté ça !
Le choix du quartier très food, c’est un fait exprès ?
C’est le hasard total. On a visité quatre locaux, un cinquième que l’on voulait, mais que l’on n’a pas eu et en nous promenant dans le quartier on est tombé sur celui-ci. Mais ça aurait pu être ailleurs… C’est vrai que là, ça tombe bien. On va dire que c’est un heureux hasard…
Le choix du lieu est étonnant, c’est très haut comme plafond !
Quatre mètres trente sous plafond. On ne s’en est pas rendu compte quand on a visité le magasin de luminaire qui était là avant. Tous les murs étaient doublés, le plafond l’était également. On savait qu’il y avait une surface, et ce n’est que quand on a commencé à tomber les murs que l’on s’est rendu compte qu’il y avait ça…
Pour le choix des produits, cela fait 15 ans que vous prenez des notes ?
Regardez dans mon téléphone, j’ai 5000 bouteilles de vin, 50 000 plats, restaurants, territoires, produits et producteurs. On pioche déjà là dedans, et l’on sait que cela va beaucoup nous servir. Moi c’était une envie d’avoir un certain nombre de gens que j’aime particulièrement sur les étagères.
Maintenant quand vous allez parler d’un produit vous pouvez dire « Tiens, goûte-le ! »
La médiatisation classique elle fonctionne toujours très bien ! Je me souviens il y a quelques semaines, j’ai parlé de façon incidente d’un charcutier, à côté de Perpignan, qui fait ses propres cochons. Je l’ai juste mentionné dans une chronique, il a eu douze personnes devant chez lui à 10h du matin. Ce n’est pas spectaculaire, mais ça marche toujours. Moi j’ai gouté ses produits, et je dis aux gens « Ce type-là fait un bon boulot… » ben les gens qui sont dans la région, ils y vont.
Cette grande table que l’on voit en premier quand on arrive, c’est pour un côté « partage » ?
Non. Il y avait une espèce de logique culturelle et architecturale par rapport au lieu, de dire : « C’est très long, et moi je veux que ce soit quelque chose qui relève du banquet républicain…»
Qu’est-ce que l’on vient manger au Bel Ordinaire ?
On y trouve de bons produits et l’objectif pour nous c’est de les faire découvrir au travers de la cuisine de Nicolas Fabre qui pioche sur les étagères en liaison avec moi et qui dit : « Avec ça, ça, ça et ça… on peut faire ça ! ». C’était une idée que je lui avais exposée il y a quelques mois, l’idée de la cuisine du placard. Moi je veux que l’on fasse à manger comme ça…
Nous sommes dans un grand placard ?
Oui ! Ici c’est un immense placard. C’est exactement ça ! C’est un immense placard et nous avons d’immenses réfrigérateurs dans lesquels nous allons chercher un oignon, une carotte, du persil, une betterave, un morceau de beurre… et l’on va compléter avec ce que nous avons là. C’est ce moment amusant où l’on ouvre les placards et où l’on se dit « Qu’est-ce que l’on va manger à midi ? »
Vous êtes passé par un financement participatif, c’était pour finaliser le projet ?
Non. Dés le départ, le projet est constitué de cette manière-là. Quand Cyrille en parle à ses amis, il y a un leitmotiv qui revient : « Si tu fais ça, moi je mets un billet… ». Au bout d’un moment, on se dit que si les gens sont prêts à y aller, on le tente. Et c’est très dur. Ce sont des sommes d’argent très importantes, mais l’on a rassemblé 104 personnes qui nous ont aidés et sans qui ce lieu ne serait pas sorti de terre.
Nous sommes le jour de l’ouverture. C’est compliqué, mais citez-nous trois produits qu’il faut absolument goûter en ce moment…
J’ai une ventrèche basque. Un vinaigre chez Laurent Agnès en Charente et un miel corse… Mais j’aurais pu en citer trente !
Le Bel Ordinaire
54 rue de paradis,
75010 Paris
01 46 27 46 67
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