Marseille est une ville remarquable. Depuis une dizaine d’années, celle-ci se révèle réellement à la gastronomie. Mais ce qui fait sa richesse, c’est son côté multiple qui ne fait qu’un. Marseille cuisine le monde, le dernier très beau livre de Vérane Frédiani qui vient de paraître, le montre de la plus belle des manières…
En 1997, le groupe Massilia Sound System commençait une de leur chanson phare par les paroles suivantes : « La grande ville, où je suis né appelée Marseille par les Français - Porte de l'Afrique dès l'antiquité, elle fut construite par des immigrés - Depuis bien longtemps elle vit en paix dans le respect de toutes les communautés - Mais depuis dix ans, dans la tête des gens, de drôles d'idées commencent à germer.» Groupe engagé, Massilia (comme disent les fans) défend dans un rub-a-dub frénétique, depuis bientôt 37 ans, sa ville et ses habitants contre les idées d’extrême droite et chante sa mer comme jamais personne ne l’avait fait. Leur dernier album, Sale Caractère, vient de sortir. C’est le moment de s’y mettre quand on ne les connait pas et surtout en cette période politique troublée.
Autre amoureuse de sa ville, Vérane Frédiani. L’autrice / réalisatrice vient de faire paraître, aux éditions de la Martinière, un sublime livre qui résume Marseille à lui tout seul : Marseille cuisine le monde. Un peu à la manière d’un documentaire qu’il aurait pu devenir, Vérane Frédiani - que l’on connaît bien pour d’autres parutions éditoriales : Steak (r)évolution (qui est également un documentaire, lui) ou encore le livre Cheffes qui recensent 500 femmes cheffes qui comptent aujourd’hui en France - propose à la fois un livre de 75 recettes, mais surtout un livre qui donne envie de vivre à Marseille et de (re)découvrir cette ville d’une richesse humaine et gastronomique absolue. Livre portrait d’une soixantaine de Marseillais qui sont aujourd’hui l’image gourmande de la ville, on y parle plus de l’Humain et de la façon dont aujourd’hui Marseille est réellement présente sur la scène gastronomique française.
Marseillaise d’origine, Vérane habite aujourd’hui Londres depuis cinq ans. Loin de la Méditerranée, de l’accent, des odeurs et des gens : « Cela permet d’avoir une vision un peu différente de son évolution. C’est une ville qui fait sens pour moi, maintenant que j’habite ailleurs » et ajoute en comparant « À Londres, j’aime le côté international, multiculturel, le mélange et la valorisation de toutes les cuisines… et l’intégration qui se fait beaucoup par la culture culinaire des différentes communautés. Cela, je le retrouve à Marseille. »
Longtemps Marseille, ainsi qu'une grande partie du sud, s’est un peu reposé sur son Vieux-Port, son soleil et sa Méditerranée en oubliant un peu de se renouveler. Cependant, depuis une quinzaine d’années, une nouvelle génération de marseillais (du cru ou venant d’ailleurs et même de Paris, c’est dire…) souhaite ainsi la remettre en avant au même titre qu’un Lyon s’endormissant de plus en plus sur ses lauriers Bocusiens : « Mine de rien, aujourd’hui, il y a un peu plus d’investissements, plus de femmes qui se professionnalisent et qui ouvrent leur restaurant. Cela met en avant ce mélange et aujourd’hui pour moi, c’est un modèle », nous explique l’autrice de ce beau livre.
Tout de même régulièrement présente dans sa ville de naissance, Vérane Frédiani est observatrice de ces changements : « Les Marseillais ont mis du temps à s’approprier les nouveaux quartiers autour du Mucem (ndlr : Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, créé en 2013) y compris les terrasses du port. Aujourd’hui, le déclenchement est fait. On a toujours été très fier de Marseille, mais ce n’était pas une ville de la gastronomie. Aujourd’hui, les Marseillais sortent plus pour aller au restaurant, changent de quartier, c’est vraiment un nouveau mode de vie pour eux » et ajoute « on pourrait dire quelque part qu’Alexandre Mazzia a donné et redonné confiance aux Marseillais. ». Nouveaux lieux, nouveaux bars de nuit, nouvelles pizzérias (très important les pizzerias quand on est à Marseille…), beaucoup de nouveautés en cinq-six années ont poussées les Marseillais a reprendre leur(s) gastronomie(s) en main.
Marseille cuisine le monde est né dans l’imaginaire de Vérane aux alentours de 2017-2018 quand elle voyait déjà sa ville changer : « Je me suis dit que ce serait intéressant de parler de Marseille sans faire un énième livre de cuisine provençale ou marseillaise. Je voulais jouer sur le fait de dire que c’est Berlin, Londres, Tel-Aviv et… Marseille, au milieu. C’est une « nouvelle » ville culinaire. »
Pour le choix des portraits présents dans le livre, Vérane Frédiani voulait également mettre les femmes à l’honneur comme elle avait pu le faire dans Cheffes. C’est justement par cette porte qu’elle y est entrée, avec l’aide de Laetitia Visse, la cheffe du restaurant La Femme du Boucher, installée à Marseille depuis un peu plus d’un an. Laetitia Visse n’est pas marseillaise et c’est justement ce qui a intéressé l’autrice : « J’ai fait son interview pour Cheffes et cela m’a vraiment nourri. Comment quelqu’un qui arrive pour ouvrir son restaurant voit la ville ? Quel est son projet ?… J’ai trouvé ça génial ! Quand j’ai signé pour ce livre, je suis retourné la voir… » Suite logique pour l’autrice de Cheffes, c’était une évidence de mettre à parts égales des marseillaises dans ce nouveau livre : « C’est une ville où il y a énormément de femmes cheffes, énormément de femmes dans le rap, énormément de femmes dans la mode. Comme c’est une ville moins chère, elles ont la possibilité d’entreprendre… »
Dans chaque personne qui arrive à Marseille pour s’y installer et construire quelque chose il y a, avant tout, quelqu’un qui veut devenir marseillais. Elle y retrouve rapidement quelques détails de chez elle. Ainsi quand Vérane rencontre les responsables syriens du restaurant Ashourya - trois fils qui ont repris le restaurant ouvert par leur mère - Magd, l’un des fils interrogés, n’hésite pas à répondre à la question « Y’a-t-il quelque chose qui vous a surpris à Marseille ? : “La mentalité marseillaise est proche de mon pays. Mais le plus surprenant, c’est qu’ici, tout le monde pense cela. Tout le monde dit : Marseille, ça ressemble à mon pays.” ». « Marseille, c’est l’échange. Les gens parlent facilement. Oui, c’est un peu crado, un peu chaotique par moment, mais c’est la vie aujourd’hui… le côté aseptisé, on en a marre et personne ne se reconnaît réellement dedans », explique l’autrice.
« Un vrai marseillais, c’est quelqu’un qui soutient l’O.M » nous dit dans riant Vérane Frediani « chacun peut dire à 1, 2, 3 générations près, d’où viennent ses grands-parents, mais ils sont rarement nés à Marseille ». Et pourtant… Si depuis trente ans les idées d’extrême droite s’infiltrent de plus en plus à Marseille, le livre de Vérane Frédiani montre peut-être le remède : « Je voulais mettre tout ce qui est anti-RN dans ce livre. Après, ce sont les politiques qui caricaturent la situation. À Marseille, les gens sont mélangés, ils se parlent. Bien entendu, nous n’allons pas tous passer nos week-ends dans les quartiers nord… Mais par exemple, Coline Faulquier avait son premier restaurant dans les quartiers nord et il a cartonné ! Opposer les gens, cela ne mènera à rien de bon… ». Vérane l’avoue « Ce livre est assez politique. Le modèle qui y est décrit fonctionne ».
Marseille n’est pas une ville comme les autres en France. Elle est à la fois multiple et totalement unitaire dans un esprit qui ne vient que sur place. Toutes ses cuisines ne font qu’une, celle de Marseille, celle du monde.
Marseille cuisine le monde donne envie d’être marseillais, Marseille cuisine le monde donne envie d’être adopté par toutes les personnes dont Vérane Frédiani dresse le portrait. On aime à s’attabler pour déguster des pieds paquets, un tarama grec, on se laisse happer par une bouillabaisse, non… par un tagine de veau au coing, ou même par des mantis, ces petits raviolis arméniens. Si l’expression « Citoyen du monde » existe, c’est assurément à Marseille qu’elle a été inventée… ou presque !
Marseille cuisine le monde - Vérane Frédiani - Éditions de La Martinière - 29,90 euros
Mots-clés : Marseille restaurants - Marseille gastronomie - Marseille Livre