Critiques - Pour apprendre

Napoléon, l'empereur gastro-diplomate qui n'aimait pas rester à table

Ecrit par Fred Ricou le 04.05.2021

Mercredi 5 mai, la France va commémorer les 200 ans de la mort de Napoléon. Très loin des débats pour savoir s’il faut ou non le faire, nous nous sommes plutôt penchés sur le côté gastronomique de l’empereur et de son entourage.  

 

DÉTAIL/AISA/LEEMAGE

 

Deux cents années nous séparent de la mort de Napoléon Bonaparte. C’est très loin de nous, mais finalement si près. Les historiens connaissent bien les petites habitudes de l’empereur, son caractère, mais également sa façon de se nourrir. Et justement, Napoléon Premier est un homme d’action, il est continuellement sur le terrain et n’a pas l’envie de faire de vrais grands repas. Il doit surtout le montrer à ses troupes. On est à la table de Napoléon dans une forme de frugalité : les repas sont pris rapidement, quasiment sans mâcher. Il n’a décidément pas le temps pour ces choses-là. Tout se joue en maximum en un quart d’heure ; il mange simplement, de la volaille, quelques pâtes, un peu de vin coupé à l’eau et, s’il a le temps, un peu de café en fin de repas. De même en famille, ses agapes ne durent pas plus de vingt minutes. Et le soir : rebelote. Le militaire n’a pas le temps, c’est si rapide qu'il oublie même souvent de manger. Il se laisse parfois aller dans la nuit, pendant qu’il travaille, à ses deux passions gourmandes : le chocolat et le café. Devant ces non-envies gastronomiques, son séjour à Sainte-Hélène, loin du faste des grands repas, ne lui fera ni chaud ni froid. 

 

Ce n’est évidemment pas Napoléon qui va s’occuper d'organiser les réceptions privées mais Joséphine de Beauharnais. Elle a le goût du luxe, et dépense sans compter pour avoir à domicile les meilleurs vins, les plus beaux mets et une magnifique vaisselle. Les plus talentueux cuisiniers se succèdent en n’hésitant pas à ajouter quelques touches exotiques à leurs plats, en hommage à la maîtresse de maison, née en Martinique. 

 

Même s’il n’est pas amateur des plaisirs de la bonne chaire, quand il n’est pas sur le terrain, Naploéon se délecte de volaille, sous toutes ses formes. La petite histoire raconte que dans le Piémont, à la fin de la Bataille de Marengo (14 juin 1800), il est mort de faim. François Claude Guignet dit Dunan, son cuisinier personnel, arrive à trouver rapidement deux poulets, un peu d’huile d’olive, quelques tomates, des oignons, un brin de persil et des oeufs. Il découpe le poulet pour que cela cuise plus vite (à l’époque, on le cuisait entier), fait revenir tous ses ingrédients et propose ainsi son poulet Marengo, comme une inspiration de l’osso-buco. Napoléon va tellement apprécier la recette qu’il demandera, selon la légende, à ce que celle-ci lui soit régulièrement servie lors des futures batailles qu’il compte mener… 

 

1815, Bataille de Waterloo (« Morne plaine ! » dira Victor Hugo dans Les Châtiments). En face des troupes napoléoniennes, le duc Arthur Wellesley de Wellington est le chef de l’armée. On connaît la suite, défaite flagrante de l’Empereur (alors qu’il avait pourtant, quinze ans plus tard, déjeuné d’un énième poulet Marengo. Comme quoi…). Pour fêter cela, et en mémoire de cette victoire, les Anglais inventeront la fameuse recette du délicieux boeuf Wellington.

 

Revenons à Napoléon, et à une anecdote que les amateurs d’uchronie devraient adorer. Elle est racontée par le chancelier Pasquier dans ses Mémoires qui la tient lui-même de l’aide de camp de l’empereur (sic !). Nous sommes deux ans avant Waterloo, en 1813 : Napoléon vient de remporter la bataille de Dresde, en Allemagne. L’armée ennemie autrichienne a fait demi-tour, mais l’envie de continuer la bataille le titille. Il envoie le général Vandamme à la poursuite de l’armée perdante, mais est pris de sévères maux de ventre. On le sait, il mange vite, cela n’arrange rien. Mais ce que l’on sait moins, c’est que Napoléon digère très mal l’ail et le ragoût qu’il s’est empressé d’ingurgiter en est rempli ! Il est obligé de s’allonger, reste plusieurs jours alité et ne donne plus d’ordres. Vandamme ne va jamais bénéficier de renfort et perdra une bataille contre les Autrichiens qui avaient repris quelques forces… On ne saura jamais ce qu’il se serait passé si les ordres de renfort avaient été donnés à temps, et si l’armée napoléonienne avait réussi à exterminer ses ennemis.  

 

Après la Révolution, à la fin du 18e siècle, la France connaît une vague de création de restaurants. Les cuisiniers des nobles et des belles maisons se retrouvent pour la plupart sans emploi, et c’est ainsi qu’ils vont développer des lieux pour bien manger et continuer à cuisiner. C’est aussi à cette époque que va se développer les premiers traiteurs pour une classe bourgeoise sans cuisinier à domicile. 

 

Dans l’entourage de Napoléon, il est un personnage historique que l’on connaît très bien comme amateur de bonne table, fin stratège et diplomate hors pair : Talleyrand. Napoléon n’est pas un gourmet mais sait à qui faire confiance pour séduire avec la gastronomie française. Talleyrand est son ministre des Relations extérieures ou des Affaires étrangères, comme on le dirait aujourd’hui. Régulièrement, il invite divers hommes d’État et autres ambassadeurs de pays étrangers, et il sait qu’avec des mets rares, une cuisine efficace et un cuisinier hors pair, on peut arriver à faire des prodiges en diplomatie. « On ne fait pas de bonne diplomatie sans de bons déjeuners », dit-il régulièrement. Talleyrand a une arme secrète, l’un des chefs les plus renommés de l’époque et qui reste aujourd’hui l’un des piliers de la gastronomie française : Antonin Carême. Gastronome ET joueur. Talleyrand le met au défi : pendant un an, il ne doit jamais se répéter dans les plats qu’il va servir, et tout doit être de saison. Défi relevé haut la main, la réputation du cuisinier ne sera plus à faire en France ni en Europe. « Le grand diplomate doit avoir un cuisinier renommé pour tenir bonne maison », écrira plus tard Carême.

 

C’est rue Florentin, à l’angle de l’actuelle Place de la Concorde à Paris, que Talleyrand reçoit de belle manière et propose à ses convives foie gras, asperges, truffes, filet de boeuf, poissons divers. Le diplomate sait se tenir, il déguste quelques vins et goûte tous les plats. S’il n’est pas, pour des raisons professionnelles, un gros mangeur, il est cependant un parfait gourmet qui en connaît un rayon sur la gastronomie. Il se raconte que, lors d’un voyage professionnel à Vienne au moment de l’abdication de Napoléon en 1814, Talleyrand reçoit à l’hôtel Kaunitz... Il n’hésite pas à servir et resservir ses convives en succulents plats, préparés par Carême, et en  vins, afin d’obtenir quelques informations utiles. La gastronomie mène décidément à tout.

Sources : Le Parisien, Le Figaro, Napoléon Cologne

 

Mots-clés : commémoration napoléon - cuisine 18e siècle - Talleyrand Carême

 

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