Chaque rencontre avec la cuisine d’Alan Geaam nous rapproche un peu plus de ses racines. Ouvert un mois avant le confinement, son petit dernier, Qasti, est une lettre d’amour à la cuisine libanaise. Il nous raconte son histoire, mais aussi cette étrange période où tout s’est arrêté…
Qasti - 7deTable.com
Qasti a ouvert le 17 février, et cela démarrait bien. Alan Geaam est un chef apprécié dans Paris. Il est déjà à la tête de deux restaurants : L’Auberge Nicolas Flamel, l’un des plus vieux restaurants de Paris (XVe siècle) tourné vers la gastronomie traditionnelle française et principalement fréquenté par les touristes, et le Alan Geaam, son restaurant gastronomique éponyme étoilé matinée d’influences libanaises. Poussé par ses amis et clients? qui veulent mieux connaître son histoire, il crée Qasti, un restaurant bistronomique libanais. Après avoir voulu réussir à tout prix à se faire un nom dans le monde de la gastronomie française, il se libère enfin de ses chaînes mentales pour réellement montrer d’où il vient…
Confinement total le 16 mars. Les restaurants sont obligés de fermer et Alan Geaam se retrouve, comme une grande partie de ses coreligionnaires culinaires, à devoir mettre provisoirement la clef sous la porte, mais il reste cependant optimiste : « Je continuais à venir chaque matin au restaurant en me disant : ça va s’arrêter, on va rouvrir… C’est un film hollywoodien… Cest pas possible…». Une semaine se passe, deux, les restaurants ne rouvrent pas et Alan commence à perdre espoir, se disant que vingt ans de travail acharné qui s’en vont de cette manière, c’est absolument impossible. « Tous mes projets ont une histoire, de l’émotion, du cœur, ce n’est pas juste pour faire du business ». Il a besoin de se rendre utile et de faire quelque chose et va travailler à la boulangerie Nicolas Flamel, juste en face de l’Auberge (qui lui appartient également). « Nous faisions 30% du chiffre d’affaire habituel, mais je faisais des tartes le matin, des financiers... Je commençais à 5h du matin, jusqu’à 19h non-stop? et cela m’a fait du bien, j’étais utile à quelque chose… ». Il profite également du confinement pour créer une association caritative à destination des gens dans le besoin, et récupérait ainsi des restes alimentaires pour les redistribuer dans le quartier.
À la maison, c’est une nouvelle vie qui s’ouvre à lui. Heureux papa d’enfants en bas-âge, il profite un peu plus chaque jour de la vie de famille, mais découvre également différentes émissions à la télé qu’il n’avait jamais vu auparavant : The Voice, Top Chef… Le fait d’être plus à la maison lui fait comprendre le monde « différemment » et particulièrement celui de chef cuisiner : « Cela a été une très bonne leçon pour moi… ».
Pendant deux mois, justement, le chef ne disparaît pas complètement. Il va continuellement noter dans un carnet différentes recettes de saison ; « la saison des asperges nous est passé sous le nez… », regrette-t-il. Il va également lire beaucoup de livres de cuisine. Philosophe, Alan Geaam trouve même que cette période est finalement passée assez rapidement et qu’il a beaucoup appris.
Le 25 mai rouvre Qasti, pour faire du take-away, avant l’ouverture de la terrasse le 2 juin ; depuis quelques jours, avec tout le protocole de sécurité, c’est le restaurant dans son entier qui revient à la vie.
La cuisine bistronomique de Qasti est une forme de renouveau de la cuisine libanaise que l’on peut trouver habituellement à Paris. Alan Geaam se sert des codes et des grands classiques pour les réinterpréter. À la manière d’un grand musicien qui va jouer un air éternel, il nous transporte, l’espace d’un instant, dans son propre imaginaire.
« Il y a plein de restaurants libanais à Paris », nous explique-t-il. « J’avais juste envie d’ajouter un coup de jeunesse, de l’élégance et du raffinement à cette cuisine. Je voulais montrer que ce n’est pas que de la street-food avec des sandwichs aux falafels cuits à 8h du matin pour les servir à minuit… » Là où, jusque-là, Alan Geaam faisait une cuisine française aux inspirations libanaise, il avoue que Qasti est une « cuisine libanaise avec des techniques françaises. J’aurais pu commencer par là quand je suis arrivé en France, mais je pense que 21 ans après, c’était le bon moment pour le faire… ». La cuisine libanaise est une cuisine pleine de fraîcheur, extrêmement agréable en cette saison de grosses chaleurs.
Le houmous est d’une belle texture soyeuse et l’on voit ici que le choix de l’huile d’olive, très jeune, y apporte beaucoup de légèreté, et même un coté floral. Ses kebbés (petites boulettes qui mêlent entre autres, viande de bœuf et bulghour) sont absolument dingue et très parfumées. Les feuilles de vignes farcies au riz sont surmontées, à la manière de sushi, de jolies petites langoustine crues pour encore plus de fraîcheur. Plat signature, son poulpe, cuit en trois façons, et d’une tendreté sans égale et les petits points de crème betterave rouges apportent au plat un côté légèrement salé/sucré étonnant. Sa volaille, certainement marinée de longues heures, est elle aussi ultra tendre et, bien évidemment, se marie extrêmement bien avec ses points de crème d’ail (que l’on aime tant) et sa purée de carotte légèrement aromatisée à l’eau de fleurs d’oranger. C’est un superbe plat !
Comme sur un ring de boxe, qu’il pratique, Alan Geaam se relève de cette période de K.O. confiné un peu groggy, mais ne se laisse pas battre aussi facilement. Il va tout faire pour sauver ses trois établissements, grâce à la confiance des clients Français pour retourner dans les restaurants proches de chez eux. L’Auberge Nicolas Flamel, Alan Geaam et désormais Qasti, tous dans un genre très différent, sont véritablement à découvrir ou à redécouvrir rapidement. Sahten !
Qasti
205 Rue Saint-Martin,
75003 Paris
Mots-clés : restaurant libanais - chef étoilé - Alan Geaam