7deTable continue avec un plaisir gourmand non dissimulé de parler glaces et glaciers. Nous avons aujourd'hui rendez-vous avec l’une des maisons les plus intéressantes de Paris. Installée il y a 40 ans place d’Italie, elle vient d’arriver dans le 12e arrondissement avec une certaine attente des riverains. Rendez-vous avec La Tropicale !
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« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » disait Héraclite d’Ephèse au VIe siècle. Pour Thaï-Thanh Dang, c’est exactement cette citation qu’elle prend en exemple pour parler de la glacerie familiale La Tropicale : les glaces d’aujourd’hui ne seront pas forcément les mêmes que celles de demain. Quelques grands classiques sont toujours présents, mais les semaines, et les saisons qui passent, font régulièrement apparaître dans les bacs de nouvelles saveurs…
Depuis maintenant 40 ans que la maison existe, les habitués qui ont fait la queue dans l’attente d’une délicieuse boule gingembre-caramel ou encore sakura-cerise griotte savent bien ce qui les attend dès que quelqu’un sort de la glacerie avec une éponge à la main pour effacer sur le tableau l’un des parfums en rupture de stock... Un supplice. « Je trouve cela très rigolo, ce côté vivant », nous explique Thaï-Thanh, la fille du créateur de La Tropicale. « On a véritablement réussi à impulser ce truc-là. Les gens ne viennent pas avec une idée fixe de la chose, ils se laissent véritablement emporter. C’est pour cela que nous avons un vrai devoir de conseil… »
Crée en 1976, la Tropicale s’est installée place d’Italie à Paris. Création, développement, boutique, tout fonctionne bien jusqu’au divorce du couple de créateurs, quelques années plus tard, ce qui va commencer à donner un petit coup dans l’aile de l’entreprise. D’un côté, la mère de Thaï-Thanh reste dans la boutique. Le père, quant à lui, va garder le laboratoire en banlieue et faire du commerce de glaces en gros. Logiquement, il fournit toujours La Tropicale. 2004, décès de la mère de Thaï-Thanh. La jeune femme se dit alors qu’il est peut-être le moment d’imprimer son empreinte dans l’entreprise familiale qui périclite doucement, et ainsi de lui redonner les couleurs qu’elle n’aurait jamais du perdre.
Voilà maintenant 16 ans que Thaï-Thanh a repris complément l’affaire familiale en main. Ancienne économiste à l’OCDE où elle entre en 1995, elle y restera une vingtaine d’années ; en 2004, elle commencera à exercer les deux métiers simultanémént, et va se servir de ses connaissances pour développer la glacerie : « J’avais une envie très forte de ne pas être dans l’agro-industrie, de chercher des marchés, de réfléchir à un développement classique. Je voulais faire quelque chose qui me fasse plaisir, qui m’éclate ! ». Elle prend le meilleur de La Tropicale en se souvenant des recettes spéciales de son père : gingembre-caramel, mandarine impériale… « Des trucs qui n’étaient pas vanille, fraise, chocolat ! », nous explique la glacière.
Thaï-Thanh se retrousse les manches et décide, dans un premier temps, de faire revenir le labo directement dans la boutique pour que les glaces soient faites sur place. Puis elle met en avant les créations paternelles. À peine convaincu, il n’hésite pas lui rappeler que ce qui fait vivre un marchand de glaces, ce sont surtout les parfums ultra-classiques, « le reste, c’est de la com’ ! ». Mais Thaï-Thanh ne se démonte pas et fait alors le pari de produire des créations originales, qui sortent des grandes lignes tracées par son père et ses pairs.
Elle commence avec le poivron-orange sanguine-piment d’Espelette, et cela fonctionne bien. Elle creuse, creuse, creuse son sujet, et les clients commencent de plus en plus à adhérer à ce nouvel élan : « On a commencé à construire avec les gens qui nous ressemblaient et ils ne viennent pas que du 13e arrondissement ! ». Elle le clame haut et fort : « Je suis souvent classifiée comme la glacière qui ne fait pas de vanille. Et quand j’en fais, avec d’excellents produits, les gens ne se précipitent pas ! Ce n’est pas un enjeu quand ils viennent chez nous ! ». Parmis les créations, il y a yaourt-basilic (très frais), praliné-sésame noir (très gourmand), ou encore fraise-menthe (régréssif à souhait). Il faut absolument venir sur place pour vraiment tout découvrir et se laisser porter.
Grande nouveauté depuis quelques semaines, trop à l’étroit dans le 13e arrondissement, La Tropicale vient de déménager rue de Prague, juste à côté de la délicieuse Table de Bruno Verjus et du célèbre marché d’Aligre. « Depuis que nous nous sommes installés ici, nous avons au moins un tiers des personnes qui nous connaissaient déjà… Ils sont super contents ! », nous raconte Thaï-Thanh dans un grand sourire.
Que c’est agréable une bonne et belle glace en été, quand il fait chaud… Mais alors, comment fait un glacier parisien de septembre à mai ? La Tropicale a trouvé la solution il y a déjà quelques années : « Nous avons toujours eu une partie salon de thé-déjeuner pour avoir une activité stable. Les vrais amateurs de glaces viennent en automne, hiver et printemps quand la température est moyenne, voire froide ». Et c’est là où est la bonne idée hors-saison de ce glacier pas comme les autres : « Cela permet de montrer aux gens que la glace peut s’accorder avec une salade, une soupe ou un plat de légumes rôtis, et sortir de l’idée que la glace c’est une boule avec un cornet, un pot ou un dessert. Cela peut avoir d’autres formes ! ». Plusieurs restaurants gastronomiques servent de la glace avec leurs entrées ou plats, mais jusqu’au-boutiste, La Tropicale a véritablement développé cette idée que la glace n’est pas qu’un petit plaisir d’après-midi d’été.
Dans une entreprise familiale, il y a forcément la recherche de l’approbation inconsciente de la figure créatrice paternelle : « Aujourd’hui, mon père est à la retraite, Il regarde ça avec un certain détachement. Il ne va rien dire, mais je vais savoir qu’il est fier par l’intermédiaire des oncles. Souvent, nous ne sommes pas d’accord. Il a un palais très fort, et moi, j’aime les saveurs plus subtiles. Il va me dire : “C’est bien, mais ce n’est pas assez puissant !” ». Fille de glacier donc, l’ancienne économiste n’a pas beaucoup lutté pour comprendre la mécanique d’une bonne glace. En revanche, l’association des saveurs, qui est tout sauf de la physique, et la recherche de bons produits ont été ses deux paris. Le but est que la glace sublime sa matière première. Vient après la recherche des accords : « Je me suis formée toute seule. Cela fait partie de ce travail sur l’identité de La Tropicale. Avec ma formation première, où nous faisions beaucoup de recherches, j’ai juste continué. Je ne peux pas m’arrêter à un truc. On se dit “Tiens, ceci, on le fait comme ça… Mais est-ce que l’on pourrait le faire autrement ?” ».
Que cela soit pour le chocolat ou pour les fruits qu’elle choisit, tout se fait au fur et à mesure, une rencontre en entrainant une autre. « Je ne voulais pas travailler avec des entreprises qui exploitent les ressources naturelles, je voulais faire du local, etc. Ça met plus de temps à se mettre en place, mais une fois que l’on est clair avec sa façon de travailler, on est amené à rencontrer des gens qui travaillent de la même manière. » Sa proximité avec le marché d’Aligre, lui a permis, pour les fruits, de rencontrer la famille Gauthier présente depuis 1948 et actuellement en conversion au tout bio.
Thaï-Thanh continue régulièrement de se poser des questions sur la technique de fabrication de la glace en tant que telle, mais également sur les produits et les saveurs qu’elle propose à ses clients. Elle garde ce côté « universitaire » en ne s’arrêtant jamais à ce qu’elle sait. Quand on lui demande si un parfum ou un association lui résiste encore, elle a une réponse très simple : « Elles sont pratiquement toutes en recherche. Je m’arrête juste quand je n’arrive pas à finir un pot d’1/4 de litre. Au contraire, si je finis le pot, c’est qu’elle est aboutie… »
La Tropicale
7 rue de Prague
75012 Paris
Mots-clés : glacier paris - artisanat local - saveurs