Après l’Asie, nous faisons le pari de l’Afrique dans les influences culinaires pour les années 2020. De jeunes chefs d’origine africaine et/ou afro-caribéenne essaient de renouveler l’offre en mettant l’accent sur les produits. C’est le cas du chef Elis Bond et de son tout récent restaurant parisien, Mi Kwabo. Bienvenue !
Crédit photo : Mild Milart, https://mildmilart.fr/
Il est des articles qu’il faut mettre à jour avant même de les écrire entièrement. Mi-février, nous sommes allés dans un nouveau restaurant qui venait d’ouvrir dans le 9e arrondissement de Paris. En ce temps-là, le Covid-19 commençait sa progression en France, mais n’allait pas encore nous enfermer chez nous pendant presque deux mois. Nous avions quelques articles en retard, et quand le confinement a commencé, le 15 mars dernier, et que les restaurants ont dû brutalement fermer, le sortir n’aurait eu aucun sens.
Mi Kwabo, dans un dialecte béninois, veut dire : « Soyez les bienvenus ! ». Le nom du restaurant, intriguant pour celui qui ne maîtrise pas la langue, est une invitation au voyage vers l’Afrique au sens général du terme. Vanessa et Elis Bond font partie de cette nouvelle génération de restaurateurs qui veut véritablement écrire un hymne culinaire à leurs racines africaines sans pour autant tomber dans la cuisine des mamans. Une cuisine créative, intelligente qui va se servir des produits que l’on rencontre dans la plupart des gastronomies populaires africaines, mais avec une identité propre. Pour le moment, si le lieu du restaurant est à l’arrêt forcé, le couple n’a pas hésité à proposer de la vente à emporter :
« La vente à emporter, nous y pensions déjà pour le midi en semaine. Nous sommes restés dans cette dynamique pour développer ça… Pendant cette période, nous avons développé notre site internet, et nous sommes en train de développer aussi divers partenariats. On fait aussi traiteur haut de gamme » explique Vanessa Bond.
Artiste dans l’âme et présent dans un contexte familial pas forcément très facile, c’est dans l’art et le dessin que le jeune chef, Elis Bond, trouve une première voie : « J’aimais beaucoup dessiner des tableaux ».
C’est par un étonnant biais que débarque la gastronomie dans sa vie. Par… amour de l’uniforme ! Originaire d’Osny, dans la banlieue nord-ouest de Paris, le jeune chef de 28 ans l’avoue lui-même : « Les fréquentations, les boîtes de nuit… Il fallait que je trouve un truc qui ait un sens, que je me trouve un cadre… ». Il n’hésite pas à s’inscrire à l’école militaire pour « le côté strict » et y prend, pendant un an, un immense plaisir. L’ordre, la marche au pas, le sport, tout est réuni ici pour qu’il se sente à l’armée, comme d’autres dans des chaussons, confortable.
Une année se passé et pour différentes raisons, il décide de ne pas rester sous les drapeaux. Retour à la cité. Elis Bond voit dans ses relations plusieurs « grands » qui ont ouvert des kebabs et se font pas mal d’argent avec. « Bonne idée ! » se dit le jeune chef en devenir sauf que lui, ne veut pas forcément ouvrir un kebab, il voit juste un peu plus loin et de toute façon, il y a trop de restaurants de kebab sur le marché !
Nouveau concept, Elis a l’idée d’un restaurant antillais à Paris. Le projet se monte rue de Charenton et la cuisine, si elle n’est pas naturelle chez lui (Elis n’a jamais pris de cours de cuisine, uniquement de pâtisserie.) se construit à la fois par ses lectures, par les vidéos de cuisine qu’il regarde avidement et par l’entraînement personnel. À cette même période, il rencontre Vanessa qui deviendra sa femme. Ici aussi, ce premier projet de restauration ne durera qu’une seule année. Totalement escroqué par celui qui se présentait comme le propriétaire des lieux, il est obligé d’y renoncer, mais garde ce qu’il avait monté également en parallèle, une partie « traiteur ».
À ce moment-là, le couple travaille avec le site La Belle Assiette.fr qui met en relation des chefs à domicile avec des particuliers, et la clientèle se fait de plus en plus nombreuse. Elis Bond va également faire quelques missions dans plusieurs restaurants prestigieux dont celui du chef brésilien Raphaël Régo.
Pour travailler sa propre cuisine, Elis se penche sur différentes photos de plats et, à la manière d’un synesthésique, qui intuitivement, à partir d’une seule sensation olfactive, gustative ou même visuelle, a en tête les saveurs et leur détail et n’a plus qu’à leur donner vie dans l’assiette : « J’ai tous les goûts qui viennent se former dans ma tête… » un peu comme un musicien qui va entendre une musique rien qu’en lisant une portée. « En fait, tous mes plats, je les dessine. Une fois dessinés, j’ai déjà tous les goûts, et je me mets à les faire… » Elis a presque tout d’un autodidacte « Quand je suis chez moi, je goûte, je teste, je coupe des légumes, j’essaye de sortir des codes… J’ai tout appris tout seul ».
Elis est Haïtien-Guyanais, Vanessa est d’origine béninoise. La création de ce nouveau petit restaurant Mi Kwabo, ultra-chaleureux, à leur image, est véritablement la fusion de leurs deux cultures : « Nous voulions raconter un peu de notre histoire ».
Pour les influences africaines, comme à son habitude, Elis Bond se renseigne dans les livres, dans différents documentaires, demande à sa belle-famille mais désire surtout montrer au grand public, non pas les différents plats qui peuvent jalonner les cuisines d’un continent tout entier, mais les produits qui les composent. « Il fallait que l’on mette ce restaurant africain au goût du jour… On allait faire une cuisine recherchée, avec une technicité, sans dénaturer le produit. Dans le Saka-Saka, le manioc, je n’ai pas voulu trop le toucher. » Pour plusieurs plats, le chef du Mi Kwabo va prendre un produit purement africain, le parer de son habit le plus simple et va « l’harmoniser » : « Je veux vraiment mettre cette cuisine et ces produits en haut de l’échelle pour que tout le monde puisse les voir… » Une cuisine qui ne reprend donc pas les classiques des gastronomies africaines, mais qui s’en inspire fortement dans l’esprit d’un Raphaël Régo, qui cuisine les produits brésiliens sans faire une cuisine brésilienne ou celle d’un Gaggan, ce chef cuisinier indien, qui se sert de sa culture culinaire indienne pour totalement réinventer de nouveaux codes gastronomiques.
Si Elis Bond reconnaît bien évidemment des lacunes comparé à un jeune chef de son âge, passé par plusieurs grandes maisons et qui a pu ainsi goûter différents produits, il ne se décourage pas et, avec son tempérament de fonceur, n’hésite pas à prévoir différents voyages en Afrique avec sa compagne pour travailler son palais et parfaire ses goûts, trouver les épices originelles des plats et comprendre les façons de faire sur place…
Déjà titulaire d’un BTS en Hôtellerie-Restauration (Mercatique - Gestion) ainsi que d’une licence en gestion hôtelière, Vanessa, quant à elle, se forme à la sommellerie et est heureuse de travailler avec son mari dans ce « petit chez soi ». « On souhaite garder ce côté intimiste, confortable et proche de nos clients. On ne veut pas faire une usine à gaz où l’on envoie, on envoie, on envoie… » explique-t-elle à 7deTable. Inspiration de son mari pour la cuisine béninoise et africaine en général depuis sept ans, elle est celle qui va aussi le canaliser : « Il partait un peu dans tous les sens, et au fur et à mesure avec mon côté studieux et carré, je l’aide à se concentrer… »
Lors de notre venue, comme dans n’importe quel restaurant gastronomique, nous avons commencé par un joli petit beurre et un bon pain. Le beurre, aux crevettes et poivre de Penja est d’une belle finesse et réussit d’emblée à mettre dans l’ambiance. Le manioc en trois façons est véritablement une belle idée pour montrer le produit en tant que tel. Les cuissons des Saint-Jacques et plus tard de la volaille marinée étaient extrêmement bien exécutées, ce qui souligne une vraie maîtrise du chef autodidacte. Pour le dessert, étonnant, servi dans une cosse de cacao, Elis Bond n’hésite pas y glisser une crème glacée chocolat (le cacao vient d’Haïti) ainsi que des fèves de cacao fraîches et rôties.
Nous avions déjà rencontré Elis Bond une première fois, il y a exactement un an, lors de la dotation Gault & Millau 2019. C’est un hasard total qui lui fait rencontrer quelques mois auparavant l’ex-responsable du célèbre guide, Côme de Chérisey, lors d’un dîner pour qui il avait postulé comme chef à domicile : « J’étais dans une toute petite cuisine. Il passe la tête, la regarde et me dit “Vous pensez que tout va être prêt ?”. Je n’avais qu’une heure et en une heure, nous avons envoyé une dizaine de plats. Il a été très surpris et m’a proposé de participer à la dotation comme il savait que je voulais ouvrir un restaurant, en me disant que ma cuisine méritait d’être vue… » Dossier déposé quelques jours plus tard. Le chef responsable des dégustations du guide vient découvrir les plats du jeune cuisinier, lui laisse un avis très favorable et lui promet ainsi de le rappeler. Ce qu’il fait, trois jours plus tard pour lui annoncer la nouvelle.
Pour le moment, le couple propose des plats à emporter et prépare déjà la réouverture du restaurant avec six places à l’intérieur et une douzaine en terrasse. Mi Kwabo est véritablement un restaurant à découvrir dans tous les sens du terme. Un voyage vers des saveurs trop peu connues et qui méritent amplement une véritable mise en avant.
Menu en 3,4,5 temps : 30, 40, 50 euros ou Menu unique « découverte ».
Mi Kwabo
42 Rue Rodier,
75009 Paris
Mots-clés : Restaurant africain - Produit terroir - Jeune chef