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Edwart Chocolatier, Edwin Yansané : « Je fais du chocolat pour me faire kiffer ! »

Ecrit par Fred Ricou le 17.12.2020

Avec une troisième ouverture pour Edwart Chocolatier à Paris depuis quelques semaines, Edwin Yansané prouve qu’en plus d’être un chocolatier à l’immense talent, il n’en est pas moins un entrepreneur. Rencontre chocolatée dans sa boutique du Marais. 

 


Crédit photo : Emilie Franzo

 

1m90, le teint halé, la voix grave qui porte loin, un grand chapeau noir dont il ne se sépare quasiment jamais sur ses lieux de travail, depuis moins de dix ans, Edwin Yansané est l’un des nouveaux visages sucrés de la capitale sur qui il faut désormais assurément compter.

 

Retour en arrière. 1998, voyage scolaire en Angleterre et visite gourmande de l’usine Cadbury. Le choc ! Ce qu’il a lu dans Charlie et la Chocolaterie est presque réel… hormis les écureuils qui cassent les noisettes. Avant même d’arriver sur place, l’odeur de sucre envahit l’espace olfactif jusqu’à l’écoeurement. La balade à l’intérieur de l’usine pour les touristes le laisse pantois « Tu te balades dans de petits oeufs et chaque petit oeuf te dirige dans des petites room avec des histoires sur les murs, différents tubes, du chocolat partout… Quand tu es enfant, tu dis que c’est trop génial ! » La visite se termine, forcément, par la boutique « Et là, du sol au plafond, tu as toutes les sortes de Cadbury du monde ! En France, on a été épargné par tout ça… heureusement ! » 

 

Si Edwin reconnait aujourd’hui, facilement, que la qualité anglaise de Cadbury n’est pas au rendez-vous, ce souvenir indélébile va le marquer. La même année scolaire, avec la même équipe de professeurs, décidément bien gourmande, il fait également la visite parisienne de la Maison Girard : « dragées, chocolats, calissons, marrons glacés [et] pâte de fruit pur fruit » toute artisanale, deuxième choc. Si Cadbury était un chocolatier industriel, chez Girard, c’est la finesse, la rigueur, la précision : « L’odeur n’est pas du tout la même ! Ici, c’est du cacao ! Ce sont des enrobeuses, des gens qui travaillent vraiment… et l’histoire est plus intéressante ! ». À quelques minutes de l’Hôtel de Ville de Paris, le laboratoire et la boutique confirment le jeune Edwin, petit parisien de 9 ans, sur une volonté professionnelle naissante, il sera artisan chocolatier… du moins, il en rêve !

 

Le fil des années se déroule, Edwin a 16-17 ans, il doit faire des choix. On lui parle d’orientation, il voit à peine ce que c’est. Il aime bien la psychologie, il aime le dessin, tiens, le dessin : pourquoi ne pas devenir webdesigner ? Et surtout, les souvenirs d’enfance remontent à la surface comme le chocolat dans une fontaine éponyme. Le chocolat ? Ha ben oui, le chocolat, c’est une évidence ! Et en plus, petit rebelle, Edwin ne fait jamais rien comme tout le monde « la preuve, j’ai fait allemand l.v.1… » nous raconte-t-il avec ironie. La où ses amis veulent travailler dans la communication, le design, ou encore la mode, Edwin choisit un métier manuel, très cartésien, et dans lequel il va dépenser le moins de temps et d’argent. Il a surtout envie de voyager ! 

 

Les questions se bousculent dans la tête du jeune homme. Techniquement, faire du chocolat, c’est six ans de formation. Mais l’on commence plus jeune… et l’on travaille aussi plus tôt que tout le monde. Et pourquoi pas, faire un double cursus ? « Je ne l’ai jamais fait ! Travailler en pâtisserie, même quand on est apprenti, c’est debout à 5h du matin, et tu finis à 17,18, 20h le soir avec 10 minutes de pause. Tu n’as pas le temps de te focaliser sur autre chose », explique-t-il. Mais son choix est fait ! On ne peut pas dire que le choix à l’époque était évident, le côté cool du métier, n’était pas encore à la télévision. L'ultra-médiatique Cyril Lignac était encore un sombre cuisinier inconnu. « Le choix du chocolat me permettait aussi de me renouveler un peu tout le temps. Et puis cela me permettait de voyager. Quand tu mets sur ton cv « chocolatier / pâtissier français » et que tu vas à l’étranger… On te prend ! » continue-t-il de nous expliquer. La notion de terroir du cacao n’est pas encore dans l’esprit du jeune homme, s’il veut voyager ce n’est pas pour cela, mais pour les différentes cultures et collaboration qu’il pourrait trouver à l’autre bout du monde. 

 

Trois ans de pâtisserie à L'École de Paris des Métiers de la Table, suivi de trois années de chocolaterie en apprentissage / alternance, Edwin travaille pour deux trois maisons françaises avant de s’envoler pour… l’Angleterre, dans une tour de traders et pour laquelle il ne restera que quelques mois. La vie sur place coûte cher et d’un point de vue culinaire, il ne s’y retrouve pas. 

 

Si le chocolatier ne se targue pas des maisons où il est passé pour travailler, c’est aussi pour s’affirmer comme tel « Ce n’est pas par où tu es passé, l’important, c’est ce que tu apportes après… ». Si on l’on doit tirer les vers du nez d’Edwin Yansané pour l’amener à avouer une certaine admiration pour quelques-uns de ses ainés, le chocolatier avoue avoir parfois trouvé de l’inspiration du côté de Jen-Paul Hévin et de Patrick Roger pour quelques techniques. En revanche, pour la partie purement créative, si le chocolatier doit trouver une sorte de maître d’inspiration, du moins à ses débuts, il l’avoue sans ambages : « Marc Veyrat ! ». « Pour le chapeau ? » pourrait ainsi demander un esprit taquin : « Non, plus pour ses idées créatives, complètement barrées, qui me laissent sur le cul… ». D’autres noms lui viennent à l’esprit, toujours des cuisiniers : Pierre Gagnaire en tête de liste, juste après… Un mélange donc, de la précision du chocolatier et de la folie de certains cuisiniers.
 


Les différents coffrets - Photo 7deTable.com

 

À la manière d’un artiste-peintre,  Edwin Yansané n’hésite pas à dire qu’il travaille avant tout pour lui et pas à destination d’un public : « Ce que je sors, c’est pour moi ! Je n’ai pas la prétention de dire que je fais du chocolat pour tout le monde… Je suis très égoïste dans ma démarche. Je m’ennuie de tout, gustativement, très vite. Je fais donc du chocolat pour me faire kiffer, moi ! Pour avoir une explosion gustative… après, les gens adhèrent ou pas… ». 

 

Après Londres, retour à Paris. La période n’est pas propice aux recrutements dans les chocolateries et malgré l’or qu’il a dans les doigts, il ne trouve rien. C’est un total hasard qui va le faire travailler aux Galeries Lafayette Montparnasse comme… vendeur de bijoux et bracelets ! Il aurait pu aller chercher du travail dans sa branche, mais il refuse catégoriquement certaines maisons. Et puis, assez timide, la vente, la confrontation avec le client, la présentation des vitrines, c’est quelque chose qu’il ne connait pas, qu’il ne maîtrise pas. C’est peut-être sa chance pour les projets qu’il a déjà en tête, et ce, depuis l’école de pâtisserie/chocolaterie. 

 

C’est donc pendant ces deux années à vendre des bijoux qu’il va monter Edwart avec Arthur Heinze, un ami chocolatier rencontré pendant ses années d’études. EDwin + ARThur = Edwart. Arthur quittera le beau navire quelques années plus tard, en 2016. 

 

Dans les deux premières boutiques, aux alentours de 2014, il va tout faire lui-même, et autant que faire se peut, dessiner les meubles. Ha, mais oui ! Le dessin ! L’idée de devenir designer le taraudait également… 

 

Pour ses créations chocolatées, et particulièrement le coffret « Aqua Vitae » dont nous avions déjà parlé dans ses pages qui mêle chocolats et spiritueux, c’est à la fois les saveurs, le souvenir d’enfance quand on tombe sur un mauvais chocolat à l’alcool genre « chardon bleu », le challenge personnel de relever le niveau de certains confrères chocolatiers qui se lancent avec plus ou moins de succès dans l’idée, mais aussi et surtout réconcilier les amateurs de spiritueux qui se méfient du cacao et inversement. Il va ainsi goûter une soixantaine de Gins pour réaliser l’alliance parfaire du gin belge Copperhead avec un chocolat noir Pure Plantation de Tanzanie. Edwin Yansané est un perfectionniste qui va aller au bout du bout des saveurs pour véritablement atteindre son but gustatif. 
 

 

 

Le coffret de cette année, Déviation, a été réfléchi pour les intolérants au lactose et par conséquent, les végans. Pour le chocolatier, c’est également un challenge : « Remplacer un corps gras, de la crème, par quelque chose d’autre… (la crème représente quand même 30% de gras), il faut y aller pour trouver quelque chose qui va coller sans qu’il y ait trop d’eau, c’est compliqué ! Cela nous a pris un an ! » Faire différent entre les gammes, sans redondance d’une année sur l’autre, être à l’écoute d’un nouveau public tout en gardant un plaisir personnel, tout ceçi l’oblige à être ultra créatif et à sans cesse chercher de nouvelles idées, recettes et saveurs. 

 

Il est évident qu’en cette période de l’année, cette période où les familles se retrouvent (pas plus de 6 !) le chocolatier travaille également les grands classiques comme les orangettes, mais aussi les citronettes, les gingembrette et autres chocolats pralinés qui ravissent toute la famille, et tout cela, en grands crus ! Mais attention, chaque grand cru ne se marie pas forcément avec tout le reste ! Même ici, c’est plusieurs heures de recherches pour trouver la combinaison idéale. 
 

 

 

Edwin Yansané n’a pas encore franchi la barre du… Bean to Bar ! (Jeu de mots…). Ainsi, il prend sa matière première, son chocolat de couverture, à La Chocolaterie de l’Opéra (Châteaurenard), chocolaterie spécialisée pour les professionnels : « un des plus précis dans son domaine. Quand on va chez un étoilé, à plus de deux étoiles, le chocolat du dessert vient souvent de l’Opéra ». Toujours avec son envie de collaborer avec d’autres, il a ainsi travaillé également avec Marc Chinchole (Paris) dont on a maintes fois vanté ici les mérites, pour un chocolat aux origines philippines; avec Hasnaâ Ferreira (Bordeaux) pour un autre chocolat indonésien qui sortira en janvier. Pour le moment faire « de la fève à la tablette » n’est pas dans ses priorités même s’il se laisse dix ans pour tenter l’aventure. 

 

Avec différentes envies, même mondiales, et toujours de manières ultras artisanales, Edwin Yansané a l’envie de développer ses chocolateries : « Pour le futur, je vois peut-être une quatrième ouverture, dans un quartier un peu plus « local », avoir une boutique dans le Marais n’est pas forcément judicieux quand il y a une épidémie et plus de touristes… Mais sinon, ce sera certainement plus de collaborations…». Avec son talent, l’envie de toujours aller au bout des choses, Edwin est certainement, comme le dirait le Gault&Millau, un « grand de demain ». Assurément. 

 

Edwart Chocolatier - Concorde

244 Rue de Rivoli
75001 Paris
01 49 27 03 55

 

Edwart Chocolatier - Marais

17 Rue Vieille du Temple
75004 Paris
01 42 78 48 92

 

Edwart Chocolatier - Batignolles

67 Rue des Dames
75017 Paris
09 83 34 67 75

 

Mots-clés : Edwart chocolatier - Edwin Yansané - Chocolat noël

 

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