Les consommateurs de viande sont de plus en plus regardants sur la qualité de celle-ci. Aujourd’hui, plusieurs facteurs entrent en compte, dont le fameux bien-être animal. Émilie Jeannin, éleveuse, est entrain de changer la donne, jusqu’à l’abattage des bêtes…
Émilie Jeannin dans son étable, pionnière française du boeuf éthique
La semaine dernière, un énième débat stérile autour de la viande à la cantine est venu faire bouger les politiques. Le maire écologiste de Lyon, Gregory Doucet, a demandé que tous les menus dans les cantines des écoles soient provisoirement « végétarien » afin « d’accélérer le service ». En face, les détracteurs répondent que l’on ne peut pas priver les enfants de viande et que tout ceci est surtout une décision « idéologique ».
Manger de la viande, ne pas manger de la viande, la question est écologique, sociétale, mais surtout personnelle. Aujourd’hui, 34% des Français se disent flexitarien, entre 2% et 5% sont végétariens, et 10% se disent prêt à passer au végétarisme. Dans les flexitariens, ce qui va faire la différence dans le choix de la viande qu’ils vont acheter, c’est évidemment la qualité. Il y a deux critères qui entrent en jeu : la façon dont sont élevées les bêtes (habitat et nourriture), mais aussi le fameux bien-être animal...
On connaît tous les images. Plusieurs associations, comme L214, sortent régulièrement des vidéos qui montrent la façon, souvent monstrueuse, dont sont tués les animaux à l’abattoir. Heureusement, beaucoup d'abattoirs font bien leur travail ; comme d’habitude ne faisons pas de stupides généralités. Pour aller un un peu plus loin, à l’occasion du salon de l’agriculture qui aurait du commencer cette semaine, nous avons contacté une éleveuse qui désire aller plus loin que ce qui est actuellement fait dans les abattoirs français.
Émilie Jeannin a une trentaine d’années et est éleveuse bovine du côté de Dijon. Il y a quatre ans, le réalisateur-producteur Franck Ribiere, à qui l'on doit Steak Révolution, lui propose de partir trois jours en Suède pour découvrir des abattoirs éthiques. Ce n’est pas parce qu’Émilie est éleveuse qu’elle reste insensible : « J’avais une certaine appréhension, parce que je ne suis pas bien dans un abattoir, partout en France… », nous avoue-t-elle. « Il y a des odeurs, il y a des bruits, que je ne supporte pas. Trois jours, chez des gens qui nous accueillaient, cela allait être un peu dur. Et quand nous sommes arrivés là-bas, c’était incroyable ! Il y avait une ambiance très calme, presque pas de bruit, presque pas d’odeur, des opérateurs qui travaillaient de manière très professionnelle, dans le calme, et où chaque geste étaient bien placés, bien réfléchi. »
Au retour, quand Franck Ribiere lui demande ce qu’elle en a pensé, elle répond tout de go que « c’est génial ! Je n’ai plus envie d’élever des vaches si l’on ne peut pas faire ça en France… ». Elle va alors rencontrer le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, qui est séduit par l’idée. La réglementation européenne prévoit justement de pouvoir créer des abattoirs mobiles.
Bizarrement, c’est plus du côté des grands groupes d’abattage industriel qu’elle va rencontrer des obstacles… Pour lui mettre des bâtons dans les roues, ils vont prétexter entre autres que « beaucoup de petits abattoirs sont entrain de fermer, ce serait dommage d’en créer d’autres… ». Bien évidemment. Selon Émilie Jeannin, ces même grands groupes ont également essayé de tenter de dissuader des banques de suivre son projet. Pour donner un ordre de grandeur d’abattage, les grosses sociétés tuent sensiblement, par abattoir, 300 bêtes par jour. Émilie, au maximum, ne pourrait en faire qu’une douzaine…
Le système qu’Émilie Jeannin veut mettre en place est finalement assez simple : une unité de trois camions-abattoirs mobiles se déplace directement sur les exploitations des éleveurs, et c’est véritablement cela la grande nouveauté. On évite ainsi le stress du transport des bovins, qui peut durer des heures voire même une ou deux journées entières. Ici, les animaux sont chez eux, ils ne sont pas effrayés par les bruits aux alentours, il passe un par un et, par exemple, ne peuvent pas voir pas leurs congénères se faire dépecer. Cela change tout. Les éleveurs peuvent également rester près de leurs animaux jusqu’au bout s’ils le souhaitent, chose qui n’arrive quasiment jamais en temps normal.
Camion de l'entreprise Hälsingestintan en Suède de Britt ©Marie Stegs - Sättra Gard
C’est très rapide. À peine dix secondes entre le moment où l’animal quitte le troupeau et celui où il est abattu. La dure tâche de tuer une bête, si elle n’est pas simplifiée, est du moins apaisée, à la fois pour l’être qui tue et celui qui est tué. « Nous avons aussi signé une charte avec l’AFAD (Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité). Elle est constituée de vétérinaire et de consommateurs aguerris, qui réclament un certain nombre de choses (étiquetage lisible, méthode d’abattage, lieux d’abattage…), et qui fait des visites pour vérifier que tout se passe bien dans les abattoirs. » Ils vérifient comment on travaille, et que ce nous avons signé dans la charte se produise dans les faits », explique, très posée, l’éleveuse.
Émilie Jeannin devrait démarrer cette activité fin mai / début juin sur différents sites d’élevage, plutôt en Bourgogne - Franche-Comté d’où elle est originaire, mais elle reçoit énormément de demandes d’éleveurs de toute la France, qui sont très intéressés par ses abattoirs mobiles.
C’est véritablement une nouvelle façon de fonctionner, à la fois pour les éleveurs qui adhère à ce système d’abattoirs mobiles et qui sont eux-mêmes soumis à divers contrôles de bien être animal et du meilleur élevage possible, mais aussi pour les clients, demandeurs de comment les bêtes ont été traitées avant d’arriver dans leurs assiettes. Comme un mantra, Émilie l’affirme : « Nous allons tout faire pour faire la meilleure viande possible… ».
Pour les consommateurs, le prix de ce boeuf éthique ne devrait pas dépasser celui des prix d’une viande bio. D’expérience, Émilie Jeannin a pu vérifier que les premiers consommateurs lui faisaient de plus en plus de compliments sur sa viande bien persillée et sa tendreté, incomparable au fur et à mesure du temps. La distribution de la viande se fera d'abord via des professionnels, bouchers et restaurateurs, puis viendra la vente en ligne pour les particuliers.
Le futur de l’élevage et de l’abattage éthique, même si l’on sait bien qu’il ne sera jamais en première ligne, est certainement là. Nous en sommes aux débuts et nous avons hâte qu’il se multiplie dans toute la France.
Site : Le Boeuf Éthique
Mots-clés : viande boeuf - bien-être animal - éleveuse