Il est arrivé en finale de la première saison d'Objectif Top Chef face à Xavier Koening. Alors qu'il y a encore deux ans, il était étudiant en chimie, Julien Noray, va se retrouver dans quelques semaines chef pâtissier du futur restaurant gastronomique de Alan Geaam à Paris, pour qui il travaille déjà. À seulement 24 ans, le jeune homme autodidacte nous parle de sa volonté d'aller toujours plus loin et de sa vision de la pâtisserie. Passionnant !
Vous êtes un jeune chef pâtissier et vous avez déjà fait une quarantaine de concours, dont le dernier que vous avez remporté. D’après vous, c’est une obligation quand on débute dans la profession ?
Oui et non. D’un côté, c’est bien parce que cela permet de se situer. De voir quel niveau on a par rapport aux autres…
Sinon, on tourne en rond ? On avance plus ?
Non. On avance, mais on a la tête dans le guidon. On ne se rend pas forcément compte de ce qui se passe autour… Ça permet de sortir de la routine habituelle et de voir ce qu’il se fait ailleurs et de voir surtout, le niveau, de ce qui se fait ailleurs. C’est aussi un challenge personnel…
Vous avez commencé à faire des concours en amateur. À quoi cela sert-il ?
À se faire plaisir et après, ça devient une drogue…
Comme un sportif qui besoin de courir, ici, il y a un besoin de concourir ?
Tout à fait ! Tout ce qui tourne autour de la gastronomie et des concours culinaires s’est particulièrement développé ces dernières années, tant au niveau amateur qu’au professionnel. Ça permet d’en faire beaucoup ! Et ça permet aussi de faire des rencontres et de se faire un nom. C’est bon à la fois pour l’établissement dans lequel on travaille, mais aussi pour le nom du candidat.
C’est ce qui vous a permis d’entrer dans le restaurant d’Alan Geaam où c’est votre participation Objectif Top Chef ?
Oui. Alan a regardé ce que je faisais, ça l’intéressait. Il y a eu une prise de contact, on a fait un quatre mains ensemble à AG Saint-Germain. Moi, je n’étais pas encore dans le domaine de la cuisine, il avait le projet d’ouvrir l’AG Les Halles en novembre 2015 et il m’a proposé de faire l’ouverture en tant que sous-chef…
J’imagine que la pression est montée ?
Il y a un côté pression, mais aussi un côté gratifiant. Quand on est amateur, de voir que des professionnels s’intéressent au travail que l’on fait, c’est très gratifiant. Ça fait aussi se poser des questions : « Est-ce que je continue dans ce que je fais depuis quelques années ou est-ce que je prends un virage à 90° ? »…
Vous avez dit dans une interview que quand vous êtes passé de la cuisine à la pâtisserie, vous vous retrouviez plus dans la pâtisserie par rapport à votre formation de chimiste. Aujourd’hui donc, c’est le pâtissier qui a pris le dessus, il n’y aura pas de retour ?
Il n’y aura pas de retour, je suis bien dans le milieu de pâtisserie et je veux vraiment aller jusqu’au bout… Je préfère me concentrer sur un domaine et ensuite, aller explorer un autre, un peu plus tard.
Si, un jour, vous avez votre restaurant. Vous serez passé par les deux postes…
Je pense que ce n’est pas forcément quelque chose d’indispensable quand on est chef de cuisine, mais c’est relativement intéressant d’avoir de très bonnes bases en pâtisseries et de très bonnes bases en cuisines…
On entend parler des « desserts de cuisinier », c’est ce que vous faites ?
Non, moi, je fais des desserts de pâtissier. Ce n’est pas la même approche, ce n’est pas la même rigueur. Un cuisinier, quand il travaille un fruit, il va le cuire, tout ça... Alors qu’un pâtissier va plus travailler dans les mousses, les crèmes, les entremets, les tuiles, c’est un travail intéressant aussi. Mais c’est aussi bien de regarder ce que font les cuisiniers et de s’approprier certaines recettes…
Pour, le dernier concours que vous avez fait et remporté à la mi-janvier, la finale régionale du Championnat de France du Dessert, comment l’avez-vous travaillé ?
Je suis parti d’un souvenir d’enfance. J’aimais beaucoup le lait-miel que l’on boit en hiver, et je me suis dit « Pourquoi ne pas transposer cette histoire en dessert ? ». Après, c’est : comment le transformer ? Sur quelle texture va-t-on jouer ? Avec quoi l’associer ? Il y a eu un gros travail de recherche en terme de produits, sur le miel surtout. J’en ai goûté beaucoup… J’ai mis de l’huile d’olive dans le dessert, ici aussi, j’en ai goûté plein. Je ne voulais pas qu’il y ait un produit qui l’emporte par rapport à tout le reste et que tous les éléments se répondent entre eux, que cela soit harmonieux. Après j’ai travaillé sur les textures, le visuel…
Quand on a l’idée avec des produits bien définis, les textures et le visuel, ça vient naturellement ?
Ça vient plus ou moins naturellement. Qui dit miel dit abeille, qui dit abeille dit ruche, qui dit ruche dit alvéoles, un dessert en forme d’alvéoles. Le miel est crémeux, pour donner sa texture, j’ai fait comme une mayonnaise avec du miel et de l’huile d’olive. Le lait, c’est quelque chose de blanc. Je voulais quelque chose de très doux en terme de couleur, un mousseux très léger, pareil pour le miel. Le miel m’a fait penser aux pâtisseries orientales, donc fruit secs, noix de cajou avec du caramel… C’est un travail d’association d’idées. C’est comme ça que je travaille.
On a beaucoup entendu parler de la « cuisine moléculaire » est-ce que l’on pourrait parler de « pâtisserie moléculaire » ?
J’ai beaucoup de mal avec ce concept de cuisine moléculaire. Même si je suis chimiste, je n’adhère pas forcément. Derrière toutes cuisines ou pâtisserie, il y a molécules, et donc chimie. N’importe quelle cuisson, n’importe quel mélange fait des réactions et l’on arrive à avoir un produit… la mayonnaise miel / huile d’olive que je travaille, c’est une émulsion de deux produits, ça n’est que de la chimie.
Par rapport à votre dessert lait / miel, vous disiez que c’était parti d’un souvenir. On a l’impression que l’enfance joue un rôle primordial chez les pâtissiers…
Oui, mais ça ne reste qu’un souvenir. On se le réapproprie et on le fait passer comme on aimerait bien le ressentir dans le moment présent. Quand on est enfant, les desserts et la gourmandise, c’est vraiment quelque chose qui va ensemble !
La pâtisserie en 20-30 ans a fait bond énorme. Est-ce que l’on peut imaginer ce qu’elle sera dans les 20 prochaines années ?
Il y a des tendances. Nous en parlions à la remise de prix du championnat : Dans les années 80, les candidats présentaient une part d’entremets, un coulis à côté, une feuille de menthe. Tout s’est un peu articulé autour du design. On cherche de nouvelles formes et le fait de vouloir chercher de nouvelles formes nous oblige à chercher de nouvelles textures et des manières de mettre en avant. Plus on va loin dans cette démarche là... et je pense que c’est ce qui va se passer dans les années à venir, on va arriver à créer de nouvelles techniques et de nouvelles façons de faire pour réaliser ce dont on a envie…
Vous êtes autodidacte. Est-ce que, d’après vous, c’est un avantage ou un inconvénient le savoir académique ?
Les deux. C’est un avantage parce que l’on a les connaissances qui permettent d’arriver d’une manière sûre à un résultat et c’est un inconvénient parce que l’on est souvent bridé par ça. Je pense que les jeunes pâtissiers qui sortent des écoles ont un peu de mal à se défaire de tout ça et aller vers des desserts personnels. Les desserts que je fais au restaurant sont des desserts personnels, c’est ma vision de ce que j’ai envie de transmettre. La technique académique, c’est bien, mais dans une certaine mesure. Ça peut être un frein à la créativité…
Dans quelques semaines, Alan Geaam va ouvrir un quatrième restaurant, un restaurant gastronomique, et vous allez y jouer un grand rôle. Quel sera-t-il ?
Je serais Chef Pâtissier. Je serais là-bas, mais je signerais toujours la carte des desserts d’ici.
Les desserts gastronomiques qui seront dans ce nouveau restaurant, vous les avez déjà en tête ?
(rires) Oh oui ! C’est déjà fait !
Comment est-ce que l’on passe d’une structure bistronomique à une structure gastronomique quand on est pâtissier ?
On change d’échelle. C’est un restaurant qui a vocation à faire une vingtaine de couverts par service au maximum. On prend le temps de faire les choses, de les faire bien. Poussez les choses plus loin. Maîtriser ce que l’on fait pour faire plus pointu, plus précis, que dans un établissement où l’on peut faire 70 couverts par service. Après, on va travailler avec les mêmes produits, mais du fait que l’on a le temps de le faire, on ne les aborde pas de la même manière. On peut les travailler de manière plus complexe, toujours au profit du goût et pour mettre en avant les produits que l’on travaille.
Le dessert qui vous fait gagner la finale régionale du Championnat de France du Dessert, est-ce qu’il aurait plus sa place à AG Les Halles ou dans le prochain restaurant ?
Dans le prochain. C’est un travail de précision. On prend le temps de faire les choses. Et puis il y a aussi le nombre d’éléments et dans la complexification que l’on apporte au dessert. Dans le dessert lait / miel, il y a 8 éléments. Ceux que je fais ici sont plus rapides à faire.
Qui sont les personnes que vous admirez en pâtisserie, les personnes qui vous inspirent ?
Plus des pâtissiers de restaurant. J’aime beaucoup le travail que fait Nina Métayer chez Jean-François Piège, c’est remarquable. C’est extrêmement pointu et précis. J’aime beaucoup aussi François Perret (ndlr : Le Chef Patissier du Ritz), c’est une pâtisserie qui paraît simple, accessible, mais qui est extrêmement complexe.
Dans une dizaine d’années, vous vous voyez où ?
Je ne me vois pas. J’avance, et je vois comment ça se passe…
Mais est-ce qu’il y a des envies particulières ?
Le rêve de tout cuisinier ou pâtissier, c’est d’ouvrir son établissement. J’ai vraiment envie de me consacrer à la pâtisserie à fond et pourquoi pas, dans quelques années approfondir le côté cuisine. Et quand j’aurais la maîtrise des deux, pourquoi ne pas ouvrir un restaurant ?
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