En 2019, Canal Plus Afrique propose à ses téléspectateurs une émission culinaire « Rendez-vous avec Le Chef Anto » qui parcourt le continent et présente ainsi les différentes gastronomies africaines. De ses voyages, mais également de ses envies profondes, le chef Anto a fait récemment paraître un très beau livre : Goûts d’Afriques - Recettes & Rencontres.
Si l’on regarde l’histoire de la France et de l’Afrique, uniquement d’un point de vue culinaire, ils sont bien peu d’un côté à connaitre les gastronomies de cet immense continent mais également bien peu, de l’autre côté à en être les ambassadeurs. Quand on fait une simple recherche sur Google : « Ambassadeurs de la cuisine africaine », un nom ressort régulièrement, et ce, depuis assez longtemps : Christian Abegan, chef cuisinier camerounais depuis une trentaine d’années.
Depuis, le chef a fait des petits et beaucoup de jeune cuisiniers africains veulent à la fois souffler un vent de nouveautés sur les gastronomies africaines, mais également et, tout simplement, les faire connaître.
L’émission de la Chef Anto ne passe que sur Canal Plus Afrique. Même à l’intérieur du continent africain, les cuisines véritablement traditionnelles sont souvent dévoyées par les produits industriels et grâce à cette émission, c’est également une manière de montrer la richesse du terroir continental. En France, aucune émission à la télévision sur la cuisine africaine n’existe réellement et quand on regarde en librairie, peu de grands éditeurs ont fait paraître des livres sur les cuisines d’Afrique noire.
Le Chef Anto, Anto Cocagne, est d’origine gabonaise. Arrivée en France à un peu plus de 18 ans, elle est aujourd’hui cheffe à domicile, a travaillé avec beaucoup de grands chefs français et a obtenu le Prix Eugénie Brazier, récompensant la plus grande créativité, lors de la finale du concours « La Cuillère d’Or », en 2018.
Mi-décembre, le rendez-vous était pris avec Chef Anto dans un joli restaurant, un “Bistrot Africain”, à une centaine de mètres de la place de la Nation à Paris, Table Métis qui fera, à lui tout seul, l’objet d’un prochain article.
« J’avais l’idée de ce livre depuis deux ans et je ne voulais pas faire de l’autoédition. Aline Princet (ndlr : la co-autrice du livre) avait déjà contacté Dieuveil Malonga, elle est photographe, et avait discuté avec les éditions Hachette avec qui elle travaillait déjà ». Aline Princet rêve de voir un livre de cuisines africaines qui changerait un peu de ce qui existe et où l’on pourrait également faire la rencontre de personnalités africaines, avec des photos ou celles-ci seraient mise en scène avec un fruit ou un légume représentatif de leurs pays. Très occupé, Dieuveil Malonga ne donne pas de réponse et Aline Princet en parle alors à Anto. Le projet est monté entre les deux femmes, il est présenté à Hachette qui n’est pas plus emballé que cela. Aline Princet part alors rencontrer diverses maisons d’édition et là, les éditions Mango adorent !
« Je m’étais dit que si je fais un livre de cuisine, il y aura aussi bien des recettes traditionnelles que des créations, mais aussi des recettes revisitées, des boissons, etc… J’avais une centaine de recettes de prêtes. On voulait aller un peu partout en Afrique et c’est comme cela que nous les avons choisies. La styliste culinaire du livre n’avait jamais travaillé sur la cuisine africaine, elle a donc testé toutes les recettes ! » continue d’expliquer à 7deTable, le Chef Anto « cela nous a permis de bien relire le livre. Elle ne connaissait pas certains produits. »
Si l’auteur de cet article n’est pas spécialisé dans les gastronomies africaines, il a cependant une petite connaissance des spécialités sénégalaise. Le plat national du Sénégal est annoncé comme le Thiéboudiène. Un plat qui mêle riz et poisson. L’un des produits traditionnels essentiels qui le compose est un petit mollusque séché dénommé « Yet » qui donne ce goût si particulier au plat. Anto Cocagne ne pouvait passer à côté, et ce petit yet est bien dans la liste des ingrédients : « Pour moi, un Thiéboudiène sans yet, n’est pas un Thiéboudiène. J’ai essayé de respecter au maximum les recettes traditionnelles ». Peut-être un peu compliqué à trouvé en France mais avec, le plat fera la différence…
Chef Anto met bien l’accent sur le fait qu’elle et Aline Princet n’ont pas fait un livre sur « La » cuisine africaine, mais bien sur « Les » cuisines africaines. La cuisine africaine n’existe pas plus que la cuisine européenne ou que la cuisine asiatique : « Les recettes ne sont pas rangées par pays. J’indique parfois des points géographique comme “Afrique de l’Ouest”. Certaines recettes sont clairement d’un pays, mais pas d’un autre : Le poulet DG, c’est le Cameroun, et le Poulet Yassa, c’est clairement la Casamance (Ndlr : région du sud du Sénégal) alors que le Thiéboudiène, je l’ai vu aussi au Mali, ou en Mauritanie… ». Pour les produits africains, au gré de ses voyages, Anto Cocagne pendant son émission a été surprise elle-même de découvrir dans certaines régions humides des girolles, des pleurotes, des asperges, des châtaignes,.. « On nous a mis dans nos têtes que l’Afrique, ce sont uniquement les mangues et les papayes alors que l’on peut y trouver des fraises et des cerises… » et ajoute « J’ai mis des desserts dans ce livre parce qu’il fallait montrer que l’on pouvait travailler aussi des produits sucrés. »
Anto Cocagne © Aline Princet
Pour les recettes traditionnelles, Anto Cocagne s’était déjà beaucoup documentée pour savoir ce que l’on mangeait avant la colonisation : « Quand on fait des recherches, on sait très bien ce que l’on mangeait après, mais pas avant… Il y a très peu de traces écrites en dehors du Maghreb. Quand Canal plus Afrique me propose l’émission en me disant que j'allais voyager, j'ai répondu que cela tombait bien, qu'il y avait ce projet de livre et que cela apporterait du contenu… ». Pendant ses voyages, elle s’étonne : « Quand je suis allé au Kenya, les Kényans cuisinent avec des épices indiennes - pendant la colonisation les Indiens sont venus construire le chemin de fer - et aujourd’hui, ils ne savent plus cuisiner sans ! Quand j’ai demandé ce qu’ils mangeaient avant que les Indiens n’arrivent, ils ne savent pas… Je l’ai appris en allant cuisiner avec les Maasaïs parce qu’ils ne cuisinent pas avec les épices ! Ils ont encore les traditions… Quand on va en ville, il y a beaucoup de bouillon cubes, de mayonnaises, beaucoup de choses qui parasitent… »
Dans beaucoup de pays africains, la cuisine véritablement traditionnelle n’est pas mise en valeur : « Là-bas, ils s’intéressent beaucoup à la cuisine européenne, ce qui est dommage. La cuisine traditionnelle est souvent liée aux pauvres, ça ne fait pas chic. Quand je retourne au Gabon, ma mère me fait des frites ! Je lui réponds que je veux manger local ! On à un complexe par rapport à l’étranger, c’est toujours meilleur que si c’est local. Un autre exemple, longtemps, dans un grand hôtel de Dakar, on faisait de la cuisine française ! On faisait des quiches lorraines, du bourguignon… Aujourd’hui, il y a une nouvelle cheffe qui cuisine des produits locaux de manière gastronomique, mais c’est tout récent ! Elle fait du risotto avec du sorgho, des sauces acidulée avec du bissap, des cheese-cake à la pâte d’arachides et ça cartonne ! Quand on va à l’école de cuisine en Afrique, on apprend le plus souvent la cuisine française ! »
Goût d’Afrique, selon le projet initial d’Aline Princet, c’est aussi la rencontre de plusieurs personnalités africaines, musiciens, comédiens, slammeurs : « Aline voulait des artistes parce que leur façon de parler de la cuisine africaine allait être différente. »
Très beau livre qui fera découvrir des saveurs africaines, Goûts d’Afrique est ici un pont entre les cultures culinaires qu'Anto Cocagne ne cesse de bâtir. Si les chefs français se sont longtemps penchés sur les saveurs asiatiques pour étoffer leur cuisine, gageons que peut-être que les années 2020 verront les saveurs africaines mise sur le devant de la scène gastronomique…
Le Chef Anto / Aline Princet - Goûts d'Afrique - Recettes & Rencontres - Éditions Mango - 978-23-1702-215-9 - 29,95€
Mots-clés : cuisines africaines - Chef Anto - cheffe à domicile