Critiques - Dans les cuisines

Bryan Esposito : « La bûche, on y réfléchit six à huit mois à l’avance... »

Ecrit par Fred Ricou le 24.12.2018

Sa bûche fait partie de nos lauréates. À 30 ans, originaire d'Avignon, Bryan Esposito est l’un des talents pâtissiers qu’il faut absolument suivre. Arrivé depuis six mois à l’Hôtel du Collectionneur, à Paris, le jeune homme y fait déjà des merveilles, dont son « goûter d’enfance ». Pour ce 24 décembre, il nous semblait évident, comme un cadeau, d’aller à sa rencontre. 

 


Bryan Esposito - Cyril Zekser pour 7deTable.com

 

Est-ce qu’être fils de photographe, quand on est pâtissier, cela aide à avoir un œil différent sur ce que l’on réalise ? 

Complètement. Mon père était photographe et a fait aussi des livres de cuisine. Quand j’étais petit, je l’accompagnais dans les cuisines, j’étais un peu son boy… Je tenais la lumière, j’arrangeais les plats… Et c’est vrai que depuis tout petit j’ai eu cet œil de photographe mais également aussi un œil pour les dressages, les assiettes… J’avais à la fois cet œil en cuisine et cet œil derrière un objectif. Pour moi, cela m’a vraiment servi.

 

Vous êtes présent sur les réseaux sociaux, est-ce que dans la réalisation d’une pâtisserie vous allez penser à la façon dont les gens vont photographier vos créations ?

Maintenant, on est obligé. Sans avoir de consignes, il faut maintenant que cela soit « Instagrammable » ; le terme est apparu depuis quelques années. Que ce soit pour un plat, un dessert, tout le monde peut faire une photo et il faut trouver quelque chose pour que ce soit mis en valeur sur internet. 

 

Quand Cédric Grolet dit, en gros : « Nous, les pâtissiers, n’avons pas de guide Michelin, aujourd’hui ce qui fait venir les gens, c’est Instagram… », qu’en pensez-vous ? 

Mais complètement ! J’ai des clients qui sont venus grâce à Instagram ! Quand j’étais au Westminster, j’avais des clients qui choisissaient leur dessert sur mon Instagram. Le serveur est venu me dire qu’ils ne regardaient pas le menu, mais mes photos. Ce sont eux qui nous jugent, maintenant. 

 

Vous commencez de quelle manière ? Par le goût ou par la forme ? 

Toujours par le goût, ce que j’ai envie de travailler – avec la saison, quoi qu’il arrive –, et après c’est la façon dont j’ai envie de l’interpréter…

 

Et l’idée première ? 

C’est vraiment l’imagination, l’idée première ! C’est ce qui me vient. Ensuite je l’adapte au goût et après à la forme. Pour le « Goûter d’enfance », j’ai fait un « Flashback », c’est un bol de lait aux céréales. Donc, on commence par le goût, les textures et après la forme. 

 

Vous avez travaillé en boutique chez Ladurée ou Dominique Saibron, et juste avant l’Hôtel du Collectionneur, vous étiez au Westminster. Qu’est-ce que vous avez appris dans ces différentes expériences ? 

Quand je suis entré chez Ladurée, j’étais vraiment un tout petit commis qui arrivait à Paris en ayant pris le TGV à Avignon. J’ai vraiment vu les facettes du métier, ce qui était compliqué, comment y arriver et comment travailler étape par étape. En allant dans différentes maisons, j’ai vraiment appris toutes les bases, pour pouvoir évoluer sur la personnalité, sur ce que l’on veut faire et ne pas faire, les réussites, les échecs,..

 

Comment êtes-vous passé des boutiques aux hôtels ? 

C’est grâce à la même personne avec laquelle je suis aussi ici à L’Hôtel du Collectionneur.  Avant le Westminster, j’étais au Marriott, j’y étais chef pâtissier mais j’étais seul, donc chef de moi-même, ce qui était déjà pas mal. Un apprenti, Vincent, est arrivé en cuisine, et je le gérais un petit peu, comme c’était une petite brigade. Il y est resté un an parce qu’il a fait une reconversion professionnelle, il est devenu cuisinier et est parti au Westminster. Ici aussi, il est resté un an et quand le chef pâtissier du Wesminster est parti, il m’a appelé pour me demander si cela pouvait m’intéresser… C’était un étoilé à l’époque et pour moi, c’était un nouveau challenge. Je l’ai suivi et au bout de deux ans, Vincent est parti au Collectionneur et rebelote, j’ai remplacé le chef pâtissier qui venait de partir. 

 

Quand on arrive dans un nouveau lieu, est-ce que l’on travaille ses pâtisseries en fonction de soi ou en fonction du lieu ? 

Il faut faire quelque chose qui nous ressemble, pour se démarquer mais également s’adapter où l’on est. Il ne faut pas être buté. Il faut s’adapter aussi à la clientèle. Moi je fais des gâteaux pour les autres, pour faire plaisir. Il faut aussi savoir comment l’hôtel gère sa clientèle et ce qu’elle veux. Après, on imprime sa marque… 

 

Quand vous êtes arrivé au Collectioneur, quelle a été votre première envie ? Quel est le rapport avec le lieu dans vos pâtisseries ? 

Le rapport est avant tout visuel. L’emblème du restaurant et de l’hôtel, c’est la pie…

 

La pie voleuse attirée par ce qui brille ? 

Non (sourire). La pie, elle est « collectionneuse ». Elle collectionne tout ce qui brille. Tout ce qui est cuivre, or, argent.. 

 

D’accord. Et dans les goûts.. 

On reste dans du classique mais on peut ajouter quelques notes extravagantes, quelques notes exotiques… 

 

Et pour ce goûter ? 

Je voulais vraiment faire quelque chose d’original dans un hôtel, alors que nous avons plus l’habitude d’y faire un Tea-Time. Je voulais faire quelque chose qui se démarque et qui change. En France, on parle de goûter et pour moi, le goûter, c’est vraiment quand on est petit, que l’on sort de l’école ou que l’on est avec des copains, on se fait plaisir. Je voulais vraiment retranscrire des émotions avec quelque chose d’apaisant, réconfortant et gourmand.
 

Bryan Esposito - Samantha Honung pour 7deTable.com

 

Comment avez-vous travaillé votre première bûche dans ce lieu ? Qu’est-ce que vous voulez dire avec ? 

C’était la bûche qui devait coller au restaurant. La première bûche du nouveau restaurant. Il a été fermé pendant un an. Il fallait le mettre en avant et c’est justement, ici aussi, la pie qui revient. La cage, les plumes de la pie dessus, à l’intérieur une petite branche qui rappelle le nid de la pie. C’était là un esprit visuel par rapport au restaurant. Pour le goût, je voulais partir sur quelque chose d’hivernal, dans l’esprit cheminée, cocooning, où l’on se sent bien quand on mange quelque chose. 

 

La base du biscuit est vraiment étonnante, comment l’avez-vous élaborée ? 

La base est un biscuit à la noix, noisette, noix de pécan, une fine couche de gianduja à l’huile d’avocat et une marmelade de kumquat. Il y a toute une structure et un travail qui va apporter toute la mâche. Sur le dessus de la bûche, il y a une mousse à la pomme de pain et un cœur d’églantine. C’est pour apporter toute cette rondeur, cette mâche, cette gourmandise. C’est vraiment quelque chose de primordiale pour moi, le biscuit. C’est l’essence du gâteau. 

 

L’an dernier, quand vous étiez encore au Westminster, vous aviez fait une bûche très personnelle qui représentait à la fois vous, et votre passion pour le Japon et votre compagne d’origine Corse. Avec votre arrivée ici, c’est plus par rapport au lieu ? 

Oui et non. J’ai fait une mousse à la pomme de pin. Tous les étés nous faisons des barbecues et nous les faisons aux pommes de pin. Cela apporte un goût particulier à la viande. Cet été je me suis posé la question : « Qu’est-ce que cela fait si l’on infuse une pomme de pin dans du lait ? » Je l’ai fait et c’était bon ! Et je me suis dit que, pour cet hiver, on allait partir dessus ! 

 

C’est un exercice obligé la bûche ? Cela vous amuse chaque année ? 

C’est surtout notre carte de visite. Chaque année, c’est un challenge que l’on réfléchit six à huit mois à l’avance pour pouvoir se démarquer. 

 

Est-ce qu’il y a des pâtisseries que vous n’auriez pas pu faire au Westminster que vous faites aujourd’hui et inversement ?

Oui oui, forcément. Bon, pour la bûche, le goût aurait été sensiblement le même mais le visuel totalement différent. C’est vraiment que pour le visuel on s’inspire du lieu. Là, je ne me représente pas moi-même. Il faut qu’au travers d’une bûche on identifie d’où ça vient… et qui l'a faite. 

 

C’est quoi le graal pour le pâtissier que vous êtes ? 

Pour moi, c’est que les personnes ressentent réellement ce que j’ai voulu transmettre dans un gâteau…

 

Mais ça, vous pouvez l’avoir tous les jours… 

Pas forcément ! Pour moi, c’est vraiment, le partage et l’émotion. Donnez du bonheur à quelqu’un qui mange un gâteau, c’est génial ! Pour le festival Qué Gusto !, j’avais travaillé avec des produits mexicains. La personne qui s’occupait de fournir les produits était venue et avait goûté mon gâteau, elle a pleuré ! Elle m’a dit : « Là, j’ai 8 ans, dans les champs de maïs, avec mes parents… » C’est une émotion que je n’avais jamais ressentie. 

 

J’ai lu que vous vouliez un jour ouvrir votre propre pâtisserie, c’est toujours d’actualité ? 

Oui, oui c’est le but. J’essaie de monter les marches jusqu’à « ma » marche. C’est le but d’ouvrir ma boutique et de faire goûter « mes » gâteaux, c’est pour ça que je travaille. 



Hôtel du Collectionneur
51 – 57, rue de Courcelles 
75008 Paris 

 

Mots-clés : bryan esposito - interview pâtissier - hôtel collectionneur

 

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