Le premier Sommet mondial sur l’action humanitaire qui se tient à Istanbul, a débuté ce 23 mai et s’achèvera le 24. Le sommet est organisé au moment où le monde fait face à la plus importance crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale et que des solutions sont actuellement en discussion pour y remédier. Le directeur général de la FAO, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Mr José Graziano da Silva a diffusé une tribune pour souligner le rôle, souvent négligée, de l’agriculture en période de crise. Profitant de cette occasion, il souligne combien l’agriculture contribue de manière essentielle au rétablissement des populations, et du pays d’un point de vue socio-économique.
La rencontre durant ces deux jours permettra d’appeler à davantage d’investissements dans le secteur. À l’issue de ce sommet, plusieurs mesures en matière de politique et de financement devraient être annoncées ainsi que des partenariats destinés à sauver des vies et à soulager les souffrances des communautés affectées. 7 de Table diffuse ici la tribune, dans son intégralité.
José Graziano da Silva, © FAO
D’une situation de crise au développement : renforcer le rôle de l’agriculture
Par José Graziano da Silva
De plus en plus fréquents, de plus en plus intenses. Les catastrophes naturelles et les conflits provoquent d’innombrables souffrances à travers le monde. Le typhon Haiyan, la récente épidémie du virus Ebola, la guerre civile en Syrie comptent parmi les spécimens les plus récents.
Nous avons besoin d’une plus grande concertation des efforts pour mettre fin aux conflits, pour soulager les souffrances, pour réduire les risques et les conditions de vulnérabilité auxquels sont confrontées des millions de personnes, dont la plupart sont pauvres et vivent en milieu rural dans les zones les plus reculées des pays en développement.
Il s’agit du principal objectif du Sommet mondial sur l’action humanitaire organisé par le Secrétaire-Général des Nations Unies Ban Ki Moon, désireux de continuer sur la lancée d’une série d’engagements extraordinaires pris par la communauté internationale.
En adoptant récemment un agenda mondial en faveur du développement durable destiné à lutter contre la faim, la pauvreté et à « n’oublier personne », un accord universel sur le climat et un nouveau cadre de travail pour réduire les risques et pour renforcer la résilience, la communauté internationale est sur la bonne voie.
Mais nous devons faire davantage et modifier radicalement la manière dont nous concevons et mettons en œuvre l’aide humanitaire. Les crises ne sont pas uniquement des urgences humanitaires. Nombreuses sont également liées à une certaine négligence et à une absence de développement et par conséquent, ne peuvent être uniquement résolues par l’aide humanitaire. En d’autres termes, cela signifie aller au-delà de l’intervention avec des mesures d’aide à court terme et en investissant beaucoup plus dans la lutte contre les causes profondes de la crise. Cela signifie accroître la résilience et renforcer les moyens d’existence des populations de manière à non seulement contribuer à leur rétablissement suite à un conflit, une maladie, des inondations ou d’autres chocs, mais aussi à les aider à réduire l’impact de ces crises, et lorsque cela est possible, d’empêcher qu’elles se produisent.
L’agriculture et le développement rural sont des facteurs clés pour renforcer les moyens d’existence des plus vulnérables, y compris ceux de centaines de millions de petits exploitants agricoles qui sont responsables de la production d’une part importante de l’alimentation mondiale. Et ce sont eux les plus exposés aux risques. Tout le monde peut en constater les dégâts. Des évènements météorologiques extrêmes comme ceux associés au phénomène El Nino ont semé le chaos à travers de nombreuses zones rurales dans les pays en développement, les maladies des animaux ont perturbé la chaîne alimentaire tandis que les conflits ont poussé des millions de personnes à abandonner leur domicile, leur terre, leur bétail. Nous sommes face à une crise alimentaire sans précèdent depuis la Seconde Guerre mondiale.
Parallèlement, le secteur agricole, principalement touché par les dégâts et les pertes engendrées par les catastrophes naturelles – de l’ordre de 22 % et jusqu’à 85 % en cas de sécheresse, ne bénéficie que de 4 pour cent de l’ensemble de l’aide humanitaire. Ces chiffres nous donnent une véritable idée du fossé croissant entre les besoins et l’ampleur de la réaction.
Nous sommes face à une crise alimentaire sans précèdent depuis la Seconde Guerre mondiale. José Graziano da Silva
Dans un tel contexte, il est essentiel de souligner que le fait d’investir dans les moyens d’existence est non seulement ce qu’il y a de plus sensé, mais est également logique du point de vue de la rentabilité, car une telle démarche va contribuer à lutter contre les causes profondes du conflit, à réduire l’impact des futurs chocs, et à éviter l’aggravation des vulnérabilités. Améliorer l’accès aux systèmes de protection sociale est crucial afin de renforcer la résilience – dans le cadre des interventions humanitaires, mais aussi pour le développement.
Lors de catastrophes naturelles, il est quatre à sept fois plus rentable d’investir dans la réduction des risques de catastrophes plutôt que de miser sur des interventions d’urgence. Pourtant, seul 0,4 pour cent de l’Aide publique au développement est consacrée à la réduction des risques de catastrophes. En outre, en situation de conflits armés et de crises prolongées, protéger, économiser et rétablir les moyens d’existence agricoles pour sauver des vies et créer un environnement favorable à une résilience à long terme est une étape majeure pour garantir la paix et la stabilité. Pourtant, le rôle du secteur agricole en période de crise est trop souvent négligé et les investissements nécessaires font défaut.
La FAO fournir une assistance humanitaire et une aide au développement. Nous sommes convaincus du caractère prioritaire de plusieurs éléments tels que les alertes précoces, la prévention et la préparation pour protéger les moyens d’existence, en particulier dans les zones rurales. Il existe de nombreuses preuves illustrant les effets positifs d’une telle approche à travers le monde et sur la manière dont elle contribue à réduire les cas d’interventions d’urgence.
De manière plus générale, nous sommes témoins de la manière dont les investissements dans le secteur agricole contribuent à renforcer l’autonomie et la dignité des communautés rurales vulnérables en réduisant leur dépendance à l’aide alimentaire.
Nous avons constaté qu’une aide de 200 dollars permet à un agriculteur syrien de produire deux tonnes de blé, soit assez pour nourrir une famille de six personnes pendant un an et pour préparer les semences nécessaires aux futures plantations. Cela ne représente pourtant qu’une partie infime de ce que coûte vraiment l’aide alimentaire, sans parler des pertes humaines.
Si nous voulons répondre aux besoins humanitaires, nous devons aller au-delà de ce que nous faisons habituellement et gérer les crises de manière différente. Nous devons comprendre que les interventions doivent porter leurs fruits à long terme pour les bénéficiaires, en particulier pour les populations zones rurales, et nous devons être capables de prendre les mesures qui s’imposent par la suite. Ainsi, et uniquement ainsi, nous nous assurerons que personne n’est laissé pour compte.
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