Cet après-midi là il fait chaud à Paris. Les arbres sont en fleurs, le soleil commence à nous délasser doucement les épaules. Dans le 5e arrondissement de Paris, depuis quelques mois, un « nouveau » restaurant éclot au pied du quartier Mouffetard et nous nous y rendons le pas léger. Derrière une devanture très sobre, les baies vitrées nous dévoilent déjà une salle intime, mais conviviale et une cuisine ouverte où le visage du Chef nous est familier. Il vient à nouveau d’entrer dans le Gault&Millau avec 15,5/20, Raphaël Régo nous accueille dans sa nouvelle maison, et son nom c’est, encore, Oka.
Oka, son premier restaurant du même nom dans le 9e arrondissement de Paris fermait en janvier 2016 après deux ans d’ouverture, mais l’histoire n’était pas terminée. « Quand j’ai fermé le restaurant, je n’en pouvais plus », nous confie le Chef. Six mois et de nombreuses péripéties ont été nécessaires à Raphaël Rego pour se retrouver et recréer Oka. « J’avais envie de me recentrer et me poser les bonnes questions : qui est Raphaël Rego ? Qui est le Brésil ? Qu’est-ce que tu veux faire ?... J’avais envie de reprendre du plaisir à cuisiner et avoir des plats et une ambiance qui me ressemblent, faire des blagues avec mon équipe, être chaleureux avec les clients, tout en donnant l’excellence ». Le décor est posé.
Nous nous installons dans cette jolie petite salle aux murs bleus profonds, aux détails jaunes or et aux pierres apparentes. On s’y sent bien, les couleurs vibrantes et la Bossa Nova langoureuse nous transportent vers le Brésil natal du Chef. Une caïpirinha bien fraîche, avec l’une des 15 cachaças qu’il fait venir exclusivement de chez lui, vient terminer de nous convaincre : le Brésil est en cuisine et nos papilles sont prêtes à danser.
Nous commençons par un assortiment d’amuse-bouches aussi beaux que bons. Les ingrédients brésiliens aux noms chantants nous étonnent, le palais reste léger et en demande de la suite. Un beurre aux agrumes et à la cachaça nous fait délicieusement patienter. Arrivent les entrées tout en délicatesse. Nous redécouvrons la saveur et la finesse d’asperges vertes, sublimées par une cuisson maîtrisée au barbecue. Croquantes et fondantes, un gel d’agrumes vient les accompagner subtilement, c’est une explosion en bouche.
Suit une mousse de haricot noir au lard, comme une madeleine de Proust pour le Chef. Sa douceur, comme du velours, retrouve la gourmandise du lard poêlé et la vivacité d’un confit d’agrumes. Équilibre des saveurs. On s’imagine cette gourmandise de l’enfance comme notre purée de pommes de terre au beurre, portée à un niveau gastronomique. Une tranche de brioche à la farine de manioc et nous nous imaginons enfants des favelas.
Le plat vient nous tirer de nos imaginations. Une volaille cuite à la perfection, avec son jus corsé. On coupe des morceaux d’une tendreté maîtrisée et on vient les rouler dans de la farine de manioc torréfiée avant de les coiffer d’un petit pickle de piment brésilien, doux acide et sucré comme une petite groseille. Une crème d’ail noir au combawa apporte une touche de caractère supplémentaire, les petits pois une fraîcheur simple.
Nous n’avions plus de place pour les desserts ? C’était sans les connaître. Un entremet au chocolat, coco et sa glace à l’açaï. Vif, acidulé, frais et ce cacao venu tout droit de l’île de Combu, juste râpé minute par le Chef devant nous… un dessert intense qui nous montre la puissance de ses origines.
Puis… un deuxième dessert d’une toute beauté, tout en contraste avec le précédent. Une sphère blanche et brillante de chocolat blanc, ornée de petites feuilles d’aneth et coiffée d’une feuille d’argent. En brisant la coque, nous découvrons une mousse chocolat blanc et une fine brunoise de mangue au maracuja. La passion est dans l’assiette jusqu’au bout, et l’absence de Chef pâtissier dans l’équipe ne les arrête pas.
Raphaël Régo nous attend et le sourire sur nos lèvres ne trompe pas. Oka, c’est la maison (en langue tupi guarani). C’est sa maison, et le chef nous revient plus fort dans ses origines que jamais. C'est un peu le même chemin qu'a emprunté Alex Atala, son modèle, le célèbre chef qui a entièrerement révolutionné la cuisine brésilienne, il y a une vingtaine d'année. Sa cuisine créative et complètement assumée est chaleureuse et raconte une histoire, comme lui. Depuis 11 ans que le garçon est en France, la vie lui a tenu un rythme effréné ponctué d’heureux évènements personnels. La fermeture du premier Oka lui a permis de se remettre en question et retrouver son essence même de chef brésilien. Aujourd’hui il est plus libre que jamais, et souhaite partager sa vision de la cuisine, en se libérant des codes qui le bridaient, tout en rendant hommage à la gastronomie.
Véritable pont entre sa terre natale du Brésil et sa terre nourricière qu’est la France, le chef fait importer des produits inédits qui donnent l’identité à ses plats et montrent sa recherche du goût incessante, toujours dans le respect de la saisonnalité française et brésilienne et en travaillant le produit jusqu’au bout, dans une démarche écologique qui lui tient à coeur.
Sans filtre et décomplexé, c’est son coeur qui parle dans cette nouvelle adresse, qu’il nomme comme l’ancienne, car l’aventure d’Oka n’était pas finie. Ce nouveau défi, il le relève avec bonne humeur et talent reposé : « Nous sommes des cuisiniers qui n’avons pas peur » comme dit le chef fièrement devant son équipe. « Nous travaillons dur, car c’est une cuisine de coeur, nous voulons donner l’excellence. Si les Michelin nous reconnaissent j’en serais très heureux, mais aussi qu’on m’accepte comme je suis”.
En tout cas, nous, nous ressortons des étoiles plein les yeux. Certainement celles du drapeau du Brésil...
Oka
1 rue Berthollet
75005 Paris
Mots-clés : chef brésilien - raphaël rego - gastronomie brésilienne