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EDITO : Je suis monomaniaque ! C'est grave docteur ?

Ecrit par Frédéric Beau le 09.05.2016

À croire que les gens s’ennuient ! Donc voici officiellement, et depuis quelques années, ouverte l’ère des boutiques monomaniaques. On notera qu’on en a également profité pour associer à cette nouvelle invention lucrative un nom intrigant, moderne et quelque peu marketé – qui découle pourtant d'un authentique trouble psychopathologique. Vous n’aurez qu’à taper l'expression sur votre moteur de recherche préféré pour que divers magazines en proposent une liste soigneusement sélectionnée. Ça n’est pas nouveau, bien au contraire. Sauf que ce courant devient envahissant et systématique, au point de commencer à en être un poil pénible.

 

Yummy
Dious, CC BY 2.0



C’est en fait la saturation qui est nouvelle, la mienne en tous cas, c’est sûr. Avant tout écart, éclairons les moins citadins de nos lecteurs, puisqu’il faut l’avouer, c’est un fléau essentiellement urbain. Une boutique monomaniaque est une boutique qui s’attache à ne proposer qu’un seul type de produit, en le déclinant comme le fait depuis toujours votre charcutier, lequel propose du pâté de foie, du pâté de campagne, du pâté de chevreuil, de sanglier, de lapin, etc. Ou encore, le plus souvent lorsqu’il s’agit de produits bruts, des boutiques qui s’obstinent à se spécialiser dans un produit, à en trouver toutes ses déclinaisons naturelles ou régionales. Ça existe pour le café et les brûleries, mais on le pratique aussi pour la truffe ou le saumon. Voilà de quoi préciser un peu le contexte.

Donc, le consommateur exigeant et très vite lassé des grands espaces urbains serait déjà presque rassasié du sans gluten. Le fait que les grands céréaliers et les gros groupes industriels s’y penchent suffit à orienter certain vers d’autres prairies, où l’herbe est à coup sûr plus verte. Le sujet est désormais trop sérieux, trop technique, rien de nouveau à mettre en avant. "Vite, dénicher autre chose" s’inquiètent les découvreurs de modes et de tendances. Souvent, le mieux est de faire du neuf avec du vieux, en y ajoutant ce qu’il faut de sexy et de glamour contemporain. Quelques maisons ont depuis longtemps associé leur nom à un produit unique, comme Baillardran et ses cannelés. Impossible, d'ignorer l’immense succès des années 2000 de ce fameux biscuit coloré devenu emblème mondial Parisien : le Macaron – dont le croquant n’est plus dissociable du nom Ladurée.

Cependant, depuis quelques années, la folie monomaniaque s’enracine et accélère son développement, parfois aussi ridicule qu’insensé. Que quelques ultras convaincus, fanatiques ou adorateurs d’un produit envisagent que la niche commerciale vaut la peine d’être exploitée, passe encore. L’ultraspécialisation ne manque pas de loufoque : Boutique de graines germées/ Boutique de graines germées bio/ Boutique de graines de légumineuses germées bio/ Boutique de graines de légumineuse germées bio du Loire et Cher …. Ah !!!! Camisole !!
 

Décliner l'identique à l'infini, mais en pas pareil


Le marché finira pas mettre les choses à leur place. Ces boutiques ne survivront que parce que la, soi-disant niche commerciale visée existe vraiment et qu’elle est suffisamment grande et active pour lui permettre d’être viable économiquement. Il paraît évident qu’on prend moins de risque à proposer un large panel de cafés qu’en offrant un choix pléthorique de Saint Nectaire. Et cette viabilité économique n’a finalement pas grand-chose à voir avec le travail précis et consciencieux de son fondateur, si ça n’intéresse pas, ça n’intéresse pas. Fin de la mono-maniaquerie délirante !

Plus récemment, dans la capitale ont alors fleuri des enseignes qui ne présentent pas seulement une sélection pointue de produits dédiés à un échantillon très restreint de la population. Elles élaborent des produits en faisant en sorte que l’échantillon de consommateurs soit le plus grand possible. Et à l’image du Macaron ces enseignes ont une prédilection pour les desserts. On trouve déjà, les éclairs, les choux à la crème, les brioches, les cheese-cakes, les tiramisus, les madeleines, les tartes (selon nous, ce dernier concept est un peu trop vaste, ils devraient faire attention, ils sont à deux doigts d’être appelé pâtisseries.. ), tous ceux-là, et bien d’autres sans doute possèdent à ce jour leur propre boutique. On comprend bien le grotesque du phénomène qui peut être décliné à l’infini, un peu comme si on ouvrait une boutique pour chaque spécialité charcutière. Eh bien, voilà. On ne le fait pas, parce que c’est une mode, parisienne et inepte, et il faut du glamour là-dedans : aussi bien emballée soit-elle, une paupiette ne se grignotera jamais sur un banc des Champs Élysées.

 

macarons
Julien Haler, CC BY 2.0



On se rend compte assez vite que ce n’est pas tant le produit qui importe, mais le concept, l’investisseur et bien entendu le nom (le chef) qu’il y a derrière. Il paraît clair que le pâtissier du village de Saint Gogo les ardoises, aura beau ouvrir sa boutique dédiée aux mille-feuilles, les chances qu’il draine des foules venues déguster ses créations sont assez minces – contrairement aux brioches de Guy Savoy… On pourra même penser que notre petit pâtissier serait assez vite taxé de vilain paresseux. 

 

Le subtil dosage entre un grand nom, et un produit bien commercialisé suffirait de nos jours à vendre n’importe quoi, tant les chefs sont devenus des stars. Leur nom suffira lors de l’ouverture de la boutique à ce que l’évènement soit relayé gratuitement et largement par la presse culinaire ou non pendant des semaines. Ce business modèle, un chouia exaspérant, fait le bonheur de la presse people, ainsi que des lecteurs déjà lassés du très célèbre macaron et des noms qui lui sont associés. C’est de la nouveauté, bobo à souhait, sans beaucoup de sens, mais c’est du luxe. Car, et c’est une condition sine qua non, le produit doit être estampillé « haut de gamme ». Dire qu’on s’est payé une brioche à 6 € aura un impact social fort auprès des collègues de boulot, mais en même temps… c’est 6 €, et pas un menu gastronomique dans un 3 étoiles Michelin. C’est plus accessible.

 

Voilà probablement le côté le plus respectable de ces boutiques : elles se doivent à l’excellence. Le fait qu’une partie grandissante des enseignes de pâtissiers vendent des viennoiseries industrielles, ou des pâtisseries préparées à base de produits semi-finis n’y est certainement pas étranger. Une brioche vendue 6 €, quand on trouve des croissants qui valent autour de 1 € : ce n’est pas compliqué de faire du haut de gamme à ce prix-là.

 

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