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Le prix de la vanille de Madagascar, une histoire qui sent la rose

Ecrit par Frédéric Beau le 06.05.2016

Alors que le soleil s’installe peu à peu, et que monte doucement la température, tout le monde se réjouit par avance de la torpeur à venir. On commence les plans de vacances, on choisit ses plages, mais personne ne se soucie du véritable drame qui se prépare et envahira probablement nos côtes ensablées cet été. Des milliers d’enfants qui supplient et pleurent à grosses larmes en poursuivant leurs parents tels des zombies affamés, le tableau est angoissant. Et les parents qui fuient pour se cacher de l’inavouable honte : ne pas pouvoir offrir la glace a la vanille quotidienne a leurs bambins désespérés. Effrayante vision en version maillot de bain, à vous glacer les sangs sous un soleil de plomb !


June 27/10 Child eating ice cream
Judith Doyle, CC BY 2.0


Le prix de la vanille de Madagascar a été multiplié par 10 entre 2015 et 2016, et c’est bel et bien la glace à la vanille qui va en souffrir le plus puisque c’est le produit de base le plus coûteux de sa composition, et de loin. La cause simpliste est attribuée à une très mauvaise récolte certes, mais en réalité on parle de lobby et de blanchiment d’argent.

 

Madagascar produit, suivant les années, entre 50 % et 80 % de la vanille consommée dans le monde. C’est donc sa production qui fixe à peu de choses près le cours mondial de cet or en bâtons. De plus, parmi les pays producteurs (Ouganda, Indonésie, Chine, Inde...) Madagascar est généralement la référence en termes de qualité, celle que les gros acheteurs privilégient. Une telle hausse des prix n’est pas chose nouvelle, entre 2002 et 2004 l’orchidée parfumée avait déjà vu son cours s’envoler (d’environ 40 $/kg à 450 $/kg), la production ayant été largement détruite par un ouragan. Cette fois c’est un peu différent.

 

À vrai dire, on ne connaît pas encore précisément le niveau de production 2015 : en effet, il faut compter la quantité après séchage, et ce séchage lorsqu’il est effectué correctement s’étend sur 6 mois. Les chiffres exacts seront donc officiels dans quelques semaines. On sait déjà que de fortes pluies en pleine période de floraisons ont entraîné la perte des fleurs, avant même que la pollinisation n’ait pu s’effectuer. Cela n’explique qu’en partie le fait qu’on s’attende à une récolte 2015 encore plus catastrophique que celle de 2013. On parle de 900 et 1200 tonnes de matière sèche estimée. En 2013, on avait déjà battu des records, avec 1500 tonnes de matière sèche. Sauf que pour atteindre des niveaux aussi faibles, il faut chercher d’autres causes.


Le bois de rose, un embargo qui se cultive bien
 

Les autres causes qui expliquent cette production catastrophique sont plutôt intrigantes en réalité (suspens à la vanille !). Depuis 2010 le commerce de bois de rose est interdit par embargo international. Les zones de culture de bois de rose et de vanille sont proches à Madagascar. Or, depuis 2014, de nouveaux opérateurs sont présents sur place (d’origine chinoise, semble-t-il), ils ont d’énormes moyens financiers et achètent de grosses quantités de vanille. L’embargo sur le bois de rose a fait naître à Madagascar un véritable commerce illégal très lucratif, ayant pour destination première les nouveaux riches chinois. C’est un bois dense et très dur, utilisé dans la fabrication de mobilier de luxe. L’argent issu de la contrebande de cette essence est donc blanchi par l’achat d’énorme quantité de vanille, ce qui accroît encore son prix.

 
vanilla vine
foam, CC BY 2.0


Ce climat devient pesant et le gouvernement malgache ne semble pas vraiment réagir. De fait, on parle de corruption jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir local, ce qui engendre un autre phénomène. Les producteurs, par peur de se faire voler leur production désormais prisée pour des raisons obscures et voulant profiter du prix au plus haut du fruit de leur labeur, se sont mis à ramasser de manière précoce les précieuses gousses et à les emballer sous vide avant la fin du séchage. Le séchage engendre une perte de poids, donc une perte d’argent. 

 

Et c’est là le dernier coup de massue contre la réputation de ce produit. Le ramassage précoce implique un faible taux de vanilline dans les gousses, un parfum beaucoup moins développé et de fait une perte de qualité qui l’éloigne du standard « gourmet » habituellement recherché par les grands exportateurs et industriels. Avec le risque ajouté que des moisissures apparaissent dans les emballages sous vide de gousses non séchés.

 

Si la culture de la vanille n’est pas compromise à Madagascar, on ne peut pas en dire autant de sa réputation en termes de qualité. Le calendrier politique local ne risque pas d’améliorer les choses, puisque des élections sont à venir et que le petit bâton parfumé est un sujet économique majeur. Mais Madagascar devra réagir vite, certains pays producteurs comme la Chine ou l’Inde ont remis en route leur culture quasiment abandonnée après les chutes des prix de 2004, et seront d’ici trois ans en mesure de produire des volumes importants. Savoir si la qualité sera également là, reste la seule inconnue.

Revenons-en à nos monstres en slip de bain attachés à leur cornet. Les gros fabricants ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne comptaient pas substituer la vanille naturelle par des arômes artificiels (ce qui est une bonne nouvelle), et que le coût actuel de cette matière première serait probablement répercuté sur le produit fini (ce qui est une moins bonne nouvelle). On le disait : un drame se prépare ! Mais si des enfants préfèrent la glace au chocolat, leurs parents sont peut être sauvés.



(via lemonde.fr - economie.gouv.fr - rfi.fr - liberation.fr - mohea.fr)

 

Mots-clés : vanille crème glacée - Madagascar vanille production - bois rose culture

 

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