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La loi imposant le locavore aux supermarchés, la Roumanie prend les devants

Ecrit par Oliopeper le 02.05.2016

Avec un Premier ministre ingénieur agronome, diplômé en France et ex-commissaire européen de l’Agriculture, le gouvernement de la Roumanie propose une loi qui impose aux hypermarchés de vendre 51 % de produits locaux et régionaux sur les rayons alimentation. On pourrait dire loi protectionniste, ne respectant pas l’esprit du marché européen, un défi à la compétitivité, une épine pour les supermarchés ? Peut-être : la loi a déjà provoqué un petit scandale dans la presse roumaine. Pourtant si on parie sur la qualité des produits locaux, partant du principe simple « plus proche, plus frais » on peut dire que cette loi a le mérite d’imposer des produits de qualité à une population plutôt esclave de l’alimentation industrielle.

 

Et l’esclavage à l’alimentation industrielle n’est pas une situation propre à la Roumanie. Beaucoup d’autres pays de l’Europe se trouvent dans la situation de devoir apprendre à l’école aux enfants la définition des saisons agricoles ou des légumes qui poussent dans la terre. Comme la loi contre le gaspillage alimentaire en France, celle des produits locaux en Roumanie pose problème aux supermarchés. Il s’agit à minima de travailler plus. Cette loi impose donc aux hypermarchés (les sociétés avec plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires) de vendre au moins 51 % de produits locaux. On fait référence aux produits alimentaires suivants : la viande, les légumes, les fruits, le lait, les œufs, le miel, le pain et la pâtisserie. 

 

Elle définit les produits locaux en faisant référence à « la chaîne courte d’approvisionnement ». C’est-à-dire « la chaîne d’approvisionnement qui implique un nombre limité d’opérateurs économiques, engagés dans des activités de coopération et de développement économique au niveau local et régional, ainsi que des relations étroites entre les producteurs et les commerçants. » 

 

Le concept de « chaîne courte d’approvisionnement » laisse au gouvernement une certaine flexibilité dans l’élaboration des normes d’application de la loi. Ainsi il sera possible par exemple de prendre en considération les réalités sur le terrain et de faire exception de cette loi dans les mois d’hiver où on ne trouve pas plus de cinq légumes dans la terre roumaine gelée. 

 

L'un des soucis des hypermarchés est lié aux particularités de la Roumanie. Les produits locaux restent flous à définir, repérer et vérifier. En effet, en regardant seulement les produits traditionnels enregistrés : en décembre 2015 la Roumanie avait un seul produit enregistré IGP (Indication géographique protégée), le Magiun de Topoloveni, une confiture de prunes. En 2015 le nouveau gouvernement a commencé les procédures pour obtenir le IGP pour la Téléméa de Ibanesti, un fromage, et le Salam de Sibiu, une saucisse sèche. Pendant des années les producteurs de marchandises traditionnelles roumaines ne se sont pas souciés de les faire reconnaître. Le marché roumain leur suffisait d’ailleurs. À l’échelle de leur production, ils n’avaient même pas besoin des IGPs, AOPs, SGTs. 



Telemea, Marché de Buacrest


De plus, en Roumanie « l’agriculture de survie » est plutôt la règle qu’une exception. Les petits producteurs qui n’ont pas vendu leurs terres à des géants de l’industrie ont fait ce choix parce que c’est leur seule petite source de revenus possible. Leur production ne sort jamais du village, car trop petite, hors tout contrôle où règle. Résultat, difficile de repérer et définir producteurs et produits locaux, car le contrôle de la production, de la recette utilisée, etc., n’est pas du tout généralisé. 

 

La loi a été approuvée le 20 avril 2016 par la commission d’Agriculture de la Chambre de Députés, for décisionnel. La forme de la loi peut encore subir des modifications lors du vote final dans l’assemblée. Les hypermarchés qui ne respectent pas la loi risquent des amendes entre 20 et 40 000 euros. De plus, dans la forme actuelle de la loi ces hypermarchés ont l’obligation de faire la promotion de ces produits activement et gratuitement. 

 

Certes, dans le cas de la Roumanie une telle loi a pour premier but de protéger les producteurs locaux, même si officiellement la « chaîne courte d’approvisionnement » peut s’éteindre au niveau régional européen. Mais notre question se dirige vers la possibilité, où bien l’opportunité, d’éduquer à travers une telle loi, les goûts alimentaires d’une population qui par le bouleversement traversé pendant 30 ans est devenue accro à la consommation industrielle.  

 

Pendant des années de communisme dur, les Roumains se sont habitués à des vitrines frigorifiques vides... Même avec de l’argent dans la poche, ce que les Roumains à l’époque communiste n’avaient pas trop, on ne pouvait rien acheter. Ainsi dans une mentalité de survie, difficile à penser au développement de la cuisine, aux plaisirs des papilles ou bien à la qualité des produits régionaux. Les produits régionaux n’étaient pas un choix, mais une nécessité, et quand ils étaient sur la table on ne se souciait plus des papilles. Ils nourrissaient et ça, c’était déjà l’exploit. 

 
The Choice is Yours
Erica Zabowski, CC BY 2.0
 

Le premier supermarché ouvre en 1995 et seulement à Bucarest. C’est Mega Image, actuellement le groupe Delhaize. Au-delà de la capitale, c’est seulement en 2003 qu’on voit les premiers supermarchés. Les Roumains se trouvent donc devant une chose qu’ils n’ont, de fait, jamais connue : le choix de consommation. N’ayant jamais connu le choix, on ne peut pas l’opérer. Les Roumains commencent donc à acheter pour acheter. Juste pour en avoir. Juste parce que tellement de temps ils ne pouvaient pas avoir. Les produits régionaux tombent dans la catégorie indésirable, car maintenant on peut acheter des produits étrangers, forcement meilleurs, juste parce que pendant des années ils étaient interdits. 

 

Les raisons sont différentes, le résultat le même : la consommation des produits de l’industrie alimentaire, qui par son principe même ne peut que favoriser la quantité au détriment de la qualité, est plus rependue. Alors une loi qui impose le locavore aux fiefs de l’industrie alimentaire nous semble rien que de bon augure. 

 

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